Théâtre de la Huchette
(Paris) à partir du 13 décembre 2024
D'après de le texte de Daniel Defoe, spectacle d'Erwan Creignou, mis en scène par Erwan Creignou assisté de Marine le Houëzec, avec Erwan Creignou.
Erwan Creignou s'attaque à Robinson Crusoé, l'un des personnages les plus célèbres de l'histoire littéraire, connu de presque tous, à commencer par les enfants qui viennent d'apprendre à lire, toujours confrontés à une version simplifiée du roman de Daniel Defoe.
Tout le monde n'a pas lu la version intégrale, mais tout le monde en connaît les principaux épisodes : naufrage, installation, découverte de l'île, arrivée de Vendredi, puis retour en Angleterre.
Et début de la légende, des interprétations, des variations... Comme Don Quichotte ou le Long John Silver de L'Ile au Trésor, sont alors apparus d'autres textes changeant la morale de l'histoire originale, changeant même des éléments de l'histoire... qu'on se rappelle Vendredi ou la vie sauvage de Michel Tournier... On a aussi parlé de "Robinsonnades" et retrouvé le vrai Robinson en Alexander Selkirk, naufragé quelque temps avant la parution du roman.
Ainsi, il faut d'abord qualifier "le" Robinson d'Erwan Creignou : colonial, post-colonial, dé-colonial ? Mâle dominant, suprémaciste blanc, homosexuel, asexuel ? Prétentieux ? Supportant ou pas sa solitude ? Dingue ou demi-dingue ? Plein de tocs à force de travaux quotidiens répétitifs ? Taiseux ou bavard ? Souhaitant rester dans son île éternellement ou prêt à se faire la malle au premier bateau aperçu ?
Pas question de répondre à toutes ces interrogations et surtout pas à la dernière ! Que le spectateur à venir sache seulement qu'Erwan Creignou est un Robinson sympa, avec qui il est agréable de passer largement plus d'une heure. Et puis, ça tombe bien pour une version théâtrale : il est bavard, comment toutes ses actions et prend la voix de son fameux compagnon quand celui-ci survient sans qu'il soit jamais présent physiquement sur scène. Il pourrait même être, pourquoi pas, une invention de Robinson, ayant besoin d'un copain imaginaire.
La preuve du bon fond de ce naufragé bricoleur : pas question pour lui de prendre l'ascendant sur son vis-à-vis. Il l'appelle par son prénom et jamais il n'aurait l'idée de le prénommer du nom du jour de la semaine où il est apparu.
Erwan Creignou rappelle ces enfants qui d'un cagibi faisait un palais dont ils exploraient une à une toutes les pièces un mercredi pluvieux. Ici, à l'aide d'un joli rideau de feuillages verts, il transforme un espace plutôt réduit en une île pleine de dangers mais aussi de ressources pour y survivre. Par son écriture évocatrice et son jeu simple et efficace, il embarque tous les passagers de la salle dans une aventure captivante. Personne dans l'auditoire ne semble décrocher. Erwan Creignou sait créer l'atmosphère espérée par les lecteurs de Defoe. Il lui est fidèle malgré toutes les infidélités repérables de ci de là.
Faire poser le pied d'un naufragé sur une scène parisienne à une époque où la Seine ne menace pas de déborder, alors qu'elle est pourtant toute proche de la Huchette, était une gageure. L'épreuve est gagnée haut la main par Erwan Creignou qui n'est peut-être pas un grand marin, mais un comédien de qualité.