Il y a des disques improbables. Le premier album d'Our brother the native, l'excellent Tooth and Claw, est l'un de ceux-là. Fruit du labeur de trois jeunes américains, dont l'âge oscille aujourd'hui en 18 et 20 ans, il a été composé par email, par adjonctions successives. Il faut dire que l'un des membres du trio n'avait jamais rencontré les deux autres, vivant à des milliers de kilomètres d'eux - pas jusqu'à leur première prestation live en février dernier, en tout cas.
Du point de vue musical, les amateurs de Cocorosie se retrouveront peut-être en terrain connu. Même légèreté, même indolence, mêmes sonorités, même, faites de brics et brocs et bruits divers ; autant de candeur ici que là-bas d'insouciance. A ceci près qu'Our brother the native ne milite pas pour le même minimalisme, le même dépouillement acoustique. Au contraire, avec Tooth and Claw, le trio parvient à dissocier la sérénité du vide - pour la lier avec un foisonnement réjouissant, celui de compositions sans queue ni tête faites d'instrumentations étranges : guitares, banjo, percussions, piano, voix étranglées ou noyées d'effets et, surtout, nombre d'éléments dont on aura du mal à discerner la nature exacte. Musique noise laconique, évocatrice, emplie de douceur, qui illustre surtout la volonté farouche des trois jeunes musiciens de ne pas s'enfermer dans le confort de compositions trop maîtrisées.
Se met ainsi en place, petit à petit, un univers bigarré, où domine une certaine douceur, où l'étrange et l'incongru le disputent à une beauté qui pourrait bien être de l'ordre de l'extatique. Un univers tout de brillance, jusque dans ses recoins les plus sombres. Comme un havre de paix, sanctuaire d'un certain amour un peu candide, juvénilement, où l'on viendrait avec plaisir se reposer de l'apprêté parfois épuisante de la musique indépendante - au sens le plus expérimental et extrême que sait prendre cet adjectif. Un univers minuscule, sans prétention, dont on fait le tour en 54 minutes, presque sans y penser.
Un voyage si court peut certainement paraître anodin. Une fois le dernier pas achevé, d'ailleurs, quel souvenir en restera-t-il ? Rien de bien précis. A peine une sensation de lumière diffuse, omniprésente, très douce. Il n'en est pas moins vrai qu'il y aura toujours un moment opportun pour revenir sur ses propres traces, parcourir à nouveau ces paysages, exagérés comme des dessins d'enfants ; y retrouver avec bonheur l'improbable - comme si l'on avait eu raison, tout simplement, de croire aux contes de fées pendant toutes ces années. Tooth and Claw est un disque magnifique, tout simplement, d'une grandeur sans affectation, d'une richesse et d'une liberté qui pour être outrées ne sont jamais déplacées. |