La musique est-elle meilleure, jouée dans de beaux sites ? Sans aller jusqu'à défendre cette idée, qui ferait fi de la prestation des interprètes, il faut reconnaître que le cachet d'un théâtre antique tel que celui d'Arles, avec ses vestiges de colonnades en fond de scène, ne peut qu'ajouter au plaisir d'assister à un concert.
Ce 28 juillet, devant une foule majoritairement jeune et féminine massée là pour Cali, c'est le marseillais Rit qui a eu l'honneur d'ouvrir la danse, sur fond de soleil déclinant et de premier croissant de lune montant.
Seul en scène, Rit est une sorte d'homme-orchestre écolo-tranquilo. Grosse caisse et shaker aux pieds, guitare à la main, harmonica autour du coup, symbale à portée de frappe, le gaillard parvient encore à se sampler, à se prendre pour une boîte à rythme ou à se lancer dans des imitations de trompette à la bouche.
Au-delà de la performance qu'il peut y avoir à coordonner tout cela, le public aura su ce soir-là être sensible à la douceur de l'homme, qui donne à sa musique, "chanson tranquille", comme il la décrit lui-même, un côté candide, idéaliste, auquel on aime à se laisser prendre un peu. Non sans une touche d'humour, voire d'autodérision, tout à fait appréciable, Rit sait surtout construire avec son public une relation touchante d'authenticité, où transparaît une envie de partage des plus touchantes.
Il semble heureux d'être là, tout simplement, conscient de la chance qu'il a de pouvoir faire entendre sa voix - et sa musique. Certainement est-ce le sens de cette habitude qui consiste à photographier son public, à laquelle il ne manquera pas de satisfaire ce soir.
Après la douceur de Rit, place à l'énergie de Poum Tchack. Quand on habite comme moi Aix-en-Provence, d'où le groupe est originaire, on a eu bon nombre d'occasions de le voir sur scène.
A chaque fois, on aura assisté à la même chose : six hommes qui, par leur énergie, leur folie, leur inventivité et leur virtuosité, se saisissent d'un public généralement peu prédisposé (du swing manouche ? est-ce que j'ai la tête de quelqu'un qui écoute du swing manouche ?) et le promènent par toute la gamme de la bonne humeur, au rythme effréné de leurs pirouettes rythmiques et acrobaties mélodiques.
Swing manouche, d'accord, mais que Poum Tchack sait enrichir de mille autres influences, pour ne jamais se contenter d'être un "groupe de", serviteur obscur d'une musique traditionnelle - la tradition engloutissant les prête-noms, qui ne lui sont que prétextes à exister. Poum Tchack, bien au contraire, c'est un groupe original, avec son propre univers musical, riche et déjanté, étonnant de modernité sous ses airs bien sages d'exotisme de voisinage.
Sur scène, deux guitaristes, l'un soliste, l'autre rythmique, un chanteur-accordéoniste au charisme certain, un batteur et un contrebassiste, un violoniste survolté aux allures de maître de cérémonie, qui danse et bondit, galipette et tournicote, lançant ses acolytes dont un solo ou un chorus, quand il ne tambourine pas sur la contrebasse derrière lui ou ne joue pas de l'archet devant le nez d'un guitariste.
Tous musiciens hors pairs, pour peu que mes oreilles et mes yeux qui ont parfois avec eux du mal à suivre puissent en juger ; et tous très visiblement ravis d'être là, à jouer ensemble, à sentir venir à eux ce public qui ne rêvait que de Cali. Applaudissements aux allures d'ovation, rappel supplémentaire.
A ce niveau là, il n'y a plus lieu de parler de bonne humeur contagieuse : c'est à une véritable épidémie que l'on a affaire, et personne ne semble immunisé. L'effet Poum Tchack.
Après une telle prestation, aussi brillante que malheureusement brève (à peine 45 minutes), comment pourrait bien se passer le concert de Cali, la tête d'affiche de la soirée ? Il faut bien reconnaître que l'on pouvait avoir à l'égard de l'homme un certain nombre de doutes. Chanteur à minettes ou poète simple d'un quotidien dérisoire ? Quelle sincérité dans les déballages multiples de la souffrance affective de parfaits anti-héros modernes que constituent ses chansons ? J'étais pour ma part assez méfiant.
Cette méfiance ne m'a pas quitté de tout le concert. Certes, la prestation scénique elle-même est loin d'être mauvaise.
Avec pas mal d'humour et un grand appétit de scène, Cali mêle en concert les titres de ses deux albums, s'offre un intermède en forme de parodie des Rolling Stones, qui jouaient ce même soir à Paris, de reprise avortée de "No woman no cry", bavarde avec son public.
Surtout, il met dans l'interprétation de ses chansons une énergie qui peut faire oublier qu'elles sont proposés dans des versions presque identiques aux versions studio (si l'on excepte une version rallongée et dramatisée de "Dolorosa", qui sait prendre le temps d'une montée dramatique, d'une explosion, le chanteur se jetant au sol, pour un final peut-être un peu grandiloquent, mais tout à fait poignant).
Mais il y a chez l'homme quelque chose d'exagéré qui peut bien avoir l'air artificiel dans ses gesticulations ; dans la façon dont il surjoue ses textes ; dans l'admiration extrême qu'il manifeste trop longuement pour le lieu ; dans les remerciements interminables qu'il adresse aux organisateurs de son premier concert arlésien.
Mais il fait montre, dans le même temps, d'une générosité, tout au moins affichée, qui est réjouissante - comme lorsqu'il fait venir sur scène la fille de l'un de ses musiciens, dont c'était ce soir-là le sixième anniversaire ; ou dans son éclat de rire manifestement surpris, quand il aperçoit entre les deux grandes colonnes du théâtre antique, déguisé en César, l'un des proches du groupe qui vient de son pouce renversé répondre à la question "Aurais-je assez de talent pour que tu m'aimes tout le temps ?", posée dans la chanson Il y a une question ; dans l'ardeur qu'il met, en tout cas, à plaire à son public, à endosser l'habit qu'il réclame.
Là est peut-être le problème, finalement - le mien, en tout cas : le spectacle de Cali est construit pour plaire à son public ; et son public est plutôt féminin et a plutôt moins de 18 ans. Mais force est de constater que celui-ci est totalement ravi, et en redemande longuement ; et cela, on ne saurait que le mettre au crédit du chanteur. |