La forme du vent ne se laisse pas réduire en mots, pas aisément. La forme du vent est sa force, surtout, l’insaisissable, furieuse quand on l’attendrait douce, étonnamment sensuelle, colérique, venue de loin, chargée d’odeurs et de sable, orientale comme un sirocco passé dans la nuit sans qu’on ne l’ait senti. La forme du vent s’esquisse du bout des doigts, sur un manche de guitare, à grands moulinets de bras sur une batterie, du plat et du bout du pieds, secs, sur des pédales de batterie - comme sur un accélérateur, pour s’ébouriffer - la forme du vent s’aspire, souterrainement, à pleins poumons, comme un besoin primordial. La forme du vent, en silence, résonne, de toute sa clameur.
La forme du vent est le premier EP, officiel quoique autoproduit, du trio parisien La Diagonale du Fou, qui a su garder de ce titre évocateur toute la richesse.
En six titres, que l’on ne pourra que dire instrumentaux, malgré les quelques voix qui hantent Dunn, La diagonale du fou impose le paradoxe bien vivant de sa musique à la fois hyper-appliquée et tout à fait fiévreuse. Fiévreuse - comme un bouillonnement, comme un geyser mis en équation, une leçon de géothermique théorique dérisoire, à flanc même du volcan en pleine éruption ; fiévreuse - comme l’indolence opiacée d’une rêverie baudelairienne, où plane un malaise dont on ne sait s’extraire.
Avec un goût pour l’exploitation jusqu’au-boutiste de ses plans et contre-plans, la diagonale du fou n’hésite pas à remonter ses manches et plonger jusqu’au cou dans des compositions faussement simples, aussi sincères que saturées, qui porte en elles la nostalgie de pays lointains, mystérieux. Jouant d’incessants contretemps secs, servis par une batterie qui maîtrise sa fougue pour offrir une partition aussi sobre qu’intelligente, ménageant au cœur de leur précipitation de salutaires respirations, les morceaux, l’un après l’autre, happent l’auditeur, comme seuls happent les meilleurs conteurs – ils parlent d’ailleurs, comme en parlerait le vent, murmurant au creux d’une oreille ravie.
Il y a dans la musique du trio un arrière-goût de ce que le math-rock a fait de mieux, Don Caballero en tête, l’affectation virtuose en moins – mais il y a aussi quelque chose de plus âpre, rêche, qui vient certainement d’une batterie qui se souviendrait de Christian Vander et Max Roach autant que de Damon Che. En une petite demi-heure, le trio offre un aperçu d’un univers musical déjà très consistant, c'est-à-dire : à la fois riche et cohérent, qui permet d’espérer une suite heureuse à cette aventure naissante.
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