Il était une fois l’histoire d’un genre musical vivant en reclus, seul, aux confins du monde, délaissé de tous depuis 50 ans déjà. Un genre musical que seuls les initiés maîtrisaient encore, déambulant par poignées dans les rayons FNAC ou Virgin à la recherche d’une étale avec les nouveautés du genre. S’il en existait encore.
Aucun autre genre musical ne fut autant respecté et dénigré, en fonction des saisons. Le jazz, et ses déviantes, n’ont en 2006 pas la vie facile. Délit de sale gueule, ostracisme belliqueux. Les joueurs de jazz ne sont plus sous les feux des projecteurs. Quant au classique….
Bang ! Le consommateur de disques pense à tort que le jazz moderne n’existe pas, que seuls Gershwin et Cole Porter semblent valables d’intérêt. Peux-on seulement parler de jazz lorsqu’on évoque le cas de The Heritage Orchestra ?
Le combo Londonien sors ces jours-ci un disque incroyable, bande-son parfaite de la série 70’ Mannix qui voyait Joe Mannix courir sur les ponts de San Francisco avec la mort à ses trousses. Un mélange humble et pourtant parfait de Blaxploitation et de swing contrôlé, comme l’inoubliable BO de "Citta Violenta" composée par Morricone himself.
"Mothers and Daughters now Mothers" débute, et c’est une grosse claque sur l’épiderme. Le genre qui laisse la marque rouge des heures durant. La fusion instrumentale du rock, du jazz et du classique font d’emblée de cet album une décalcomanie idéale des ambiances moites et monochromes des 50’, 60’ et 70’. Sans jouer le rétro, le combo de The Heritage Orchestra réussit là où Michael Oldfield (Cf Tubular Bells et ses dérivatifs) a échoué ; réaliser le crossover entre instrumental et grand public, sur fond de Wah wah saignantes et de Rhodes riches en sucre. Et surtout de violons tragiques et joyeux, qui glissent sur l’arrangement toujours complexe. Jamais prétentieux.
L’impression de voyage est phénoménal sur "D’lin", d’une richesse harmonique qui ne voit pas la voix prendre le dessus. Tout est à sa place, les anglais ont du goût, la politesse ne pas interrompre les préliminaires. Qui touchent à leur fin sur le très Stevie Wonder "Sky Breaks", période Innervisions, enrobé de soul funky sans oublier la ligne directrice d’ensemble. La mélodie.
The heritage orchestra pioche dans l’ensemble des genres, pas regardant sur l’étiquette et la provenance. Si le sirupeux "Ballard for strings" est un brin surfait dans le style "Film-noir-ambiance-ascenseur pour l’échafaud", le groupe reprend la main sur "Tell me stories", accompagné de sublimes voix, on pèse les mots, aux vocals, donnant à l’album une hétérogénéité sans comparaison. Idéale pour les poursuites en voiture au fond du ravin.
Et puis vient la rupture, la grande dédicace au maître du jazz rock expérimental. "The 1890 affair II" est un clin d’œil évident au "Bitches Brew" de Miles Davis, sommet de création mystique mêlant le rock au funk, le funk au jazz. Sur "The 1890 affair II", les batteries cognent sec, la guitare tient bon, suit le rythme, les violons jouent fort pour se faire entendre, les cuivres sont en embuscade, le tempo frémit, s’arrête. Se soulage. Et reprend de plus belle. Cette composition est plus belle, plus rythmée, qu’une échappée du Tour de France dans les cols.
Quelques mois après la surprise procurée par l’écoute de 12twelve, groupe jazz prog espagnol, l’album de The Heritage Orchestra s’impose comme la révélation de ce genre musical, dont on n’espérait plus un jour entendre le battement de cœur. |