Date improbable pour le quatuor japonais Mono en ce début de décembre : Aix-en-Provence. Deuxième date française d’une tournée européenne commencée un mois plus tôt. Premier passage au Korigan, café-concert modeste de 200 places, au look épuré et à la scène exiguë. A croire que les groupes de post-rock vont enfin cesser d’éviter le sud-est. On se prend à rêver.
En première partie, Le Diktat projet solo (ce soir-là, en tout cas) d’une électro-indus relativement peu enthousiasmante - pour ne pas dire : poussive ; assénée non sans conviction, mais avec peu d’inventivité. Une tasse de thé for peu à mon goût, qui n’aura pas ce soir-là rencontré son public. Applaudissements polis - salut poli - entre gens de bonne compagnie, on reste poli.
Barrière culturelle, affectation post-rockéenne, réserve personnelle, l’entrée en scène de Mono a quelque chose d’incompréhensiblement froid. Une absence totale. Assis ou debouts, les musiciens après une rapide installation se tiennent raides, les visages cachés par leur cheveux, d’une absence totale.
S’il y a quelque chose d’horriblement austère dans cette attitude, n’est-ce pas cependant pour mieux servir quelques notes dépouillées, une mélodie belle de lenteur et de vide ?
N’est-ce pas pour mieux laisser naître et saisir quelque chose de l’ordre de la transe ? Comme si ce vide et cette lenteur ne savaient qu’enfler, se crever avec frénésie dès lors qu’on les laisse vivre.
On a beau être prévenu, connaître par cœur la formule, que d’aucuns diront ressassée, ce plan depuis longtemps élevé au rang de standard d’un post-rock pour manuels scolaires, le schéma canonique de l’alternance entre le calme et l’explosion, la douce furie splendide - on a beau s’y être préparé, l’avoir attendu, appelé, tant guetté, il y a toujours quelque chose de saisissant dans l’énergie brute qui s’en dégage. Saisissant de voir ces corps fantomatiques, privés de visages, privés de vie, trembler soudain, chanceler, perdre l’équilibre jusqu’à chuter réellement, poussant de déchirants hurlements venus du plus profond des entrailles de leurs instruments.
En la matière, les compositions de Mono font figure d’exercice de style. Plus exactement : feraient figures d’exercice de style si elles ne portraient pas en elles une évidente étrangeté - et ceux qui ont déjà prêté l’oreille à de la musique traditionnelle japonaise verront de quelle étrangeté je parle - de cette étrangeté au sens propre, culturelle, qui fait que l’on ne sait trop d’où tout cela vient, ni où tout cela va.
On peut en effet écouter Mono d’une oreille distraite, attendant à chaque note douce égrenée sur l’un ou l’autre des guitares qu’enfin tout cela en arrive à son paroxysme.
Ecouter Mono, en somme, comme un énième suiveur appliqué mais sans originalité de la recette de maîtres plus grands que lui. Mais on peut aussi prêter l’oreille, attentivement, à la suite de ces notes, essayer de la saisir pour elle-même.
On entendra alors, réellement, autre chose - autre chose qu’une musique (simplement) nord-américaine, par exemple. Autre chose, tout à fait, que l’élaboration croissante des compositions du groupe donne de mieux en mieux à entendre ; et qui s’est livré, avec intensité et authenticité, ce soir-là, une heure durant, à un public recueilli et ravi. |