"Refus de témoigner" de Ruth Klüger, dont le titre original équivalait à "Re-vivre", est un titre étonnement anachronique pour le récit autobiographique d’une femme juive qui a subi les camps de concentration nazis mais qui résume bien le fond de son propos.
Un fond dense et complexe auquel s’ajoute la structure même puisque si le fil chronologique est respecté la narration de chaque épisode se double d’une analyse à la fois à la lumière d’événements subséquents et au jour de l’écriture, une écriture vive, précise, sans détours ni complaisance.
Née à Vienne, Ruth Klüger connaît dès son enfance le racisme anti-juif dans une Autriche profondément antisémite avant même l’Anschluss, et est déportée en 1942 alors qu’elle n’avait que 12 ans dans un premier camp, celui de Theresienstadt, qui apparaît comme un ghetto quasiment semblable à ceux qu’elle avait déjà connu, puis Auschwitz-Birkenau et Gross-Rosen.
Rebelle à la victimisation, critique par rapport au sens et à la portée du témoignage et notamment à "l’oral history", allergique à l’industrie de l’holocauste "Cette culture de musée repose sur une superstition profonde, l'idée qu’on saisirait les fantômes précisément sur les lieux où ils ont cessé d'être vivants. Ou bien plutôt non une superstition profonde, mais artificielle, telle qu'en suscitent toutes les maisons hantées du monde."), dénonçant l’insuffisance d’une approche compassionnelle ("A Birkenau, j'ai été à l'appel, j'ai eu soif et peur de la mort. C'était tout, et rien de plus."), elle refuse de devenir un témoin professionnel, comme le constatait avec désespoir Primo Levi, l’auteur de "Si c’est un homme", un témoin inéluctablement instrumentalisé.
Elle prône un nouveau vecteur de transmission de la mémoire, celui de l’écriture et donc l’art.
Ce qu’elle tente par là même de faire avec ce livre qui se présente à la fois une autobiographie éclairée, une réflexion philosophique sur l’holocauste et une analyse sur l’épistémologie et la déontologie du recueil des témoignages.
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