"Les quatre fleuves", publié en 2000, à l’occasion des 10 ans des Editions Viviane Hamy, se présente comme un roman policier "illustré" résultant de la collaboration entre Fred Vargas et son ami le dessinateur au style expressif très noir, Edmond Baudoin et une véritable réussite.
Côté roman, l’intrigue est mince voire simplissime, un coupable connu dès les premières pages, une banale course poursuite et un dénouement sans surprise, ce qui est inhabituel chez Fred Vargas. En revanche, sur le fond, point d’innovations déstabilisantes pour les fidèles puisqu’on retrouve deux des thématiques de la reine du rom’pol français, l’irrationnel et la tribu.
La tribu est ici représentée par une famille un peu marginale composée du père et de ses quatre fils, le père, adepte de l’art brut, dont le grand œuvre est l’édification en canettes laminées d’une réplique grandeur nature de la Fontaine des quatre fleuves sise à Rome. 4 fils, 4 fleuves, le chiffre fétiche de Fred Vargas, de la symbolique biblique au symbolisme scientifique. A vous de chercher !
Cela étant Fred Vargas a écrit un roman "verbal" se cantonnant, si l’on peut dire sans que cela soit péjoratif, à la trame et à son point fort, les dialogues, mêlant comme toujours les dialogues, les monologues narratifs et les récitattifs distanciés.
Elle laisse la part belle à Baudoin pour le surplus : "Les sensations, les sentiments, les paysages, tout ça c’était pour Baudoin." Ce qui fait de ce roman graphique un véritable roman à 4 mains.
Au plan graphique, Baudouin a réalisé un travail tout à fait remarquable en rupture avec le classique "case/bulle" au point où "Les quatre fleuves" sont considérés comme "un véritable manifeste exploratoire de certains aspects de la poétique propre à la bande dessinée".
A l’heure où le 9ème art entre au Musée d’Art Moderne et où le Centre Pompidou consacre une exposition, "BD reporters", au nouveau champ d’exploration de la BD qu’est le journalisme, dans laquelle Baudouin figure en bonne place avec "Le chemin de Saint Jean", il est intéressant de revenir sur ce roman qui permet d’apprécier un autre domaine d’investigation de la BD et en l’espèce, son rôle majeur, au sens large du terme, qui ne se contente pas d’une mise en image d’un texte.
En effet non seulement il ne s’agit pas d’une illustration servile du texte mais d’une véritable œuvre créatrice, le dessin devenant un élément essentiel de la narration, se substituant parfois au texte.
Par ailleurs, Baudouin utilise tous les modes expressifs et graphiques, tant pour le dessin, de la BD traditionnelle au dessin à bords perdus, que pour l’insertion du texte, de la bulle au récitatif vertical avec un dessin latéral, ce qui donne des planches magnifiques.
Mais là n’est pas son seul intérêt puisque, enfin, le lecteur découvre une représentation physique du fameux commissaire de police Adamsberg, l’anti-héros récurrent de Fred Vargas, avalisée par cette dernière.
Ménageons encore un peu le suspense en constatant que les traits d’Adamsberg sont fort éloignés de ceux Jean-Hugues Anglade et José Garcia qui joueront respectivement dans la version télévisée de "Sous les vents de Neptune" filmée par Josée Dayan et l’adaptation cinématographique de "Pars vite et reviens tard" réalisée par Régis Warnier.
Car ce visage n’est autre que celui de Baudouin. Baudouin qui comme Adamsberg (le 1er a-t-il inspiré le second ?) a des fourmis dans les jambes, l’un déambule sur les chemins, l’autre sur le bitume, pratique la marche du pèlerin et se présente lui-même comme "perdu entre ses souvenirs et son imaginaire", également trait caractéristique du "pelleteur de nuages" qu’est Adamsberg.
A vous de voir ! |