Comédie dramatique de Marivaux, mise en scène Elisabeth Chailloux, avec Valérie Crunchant, David Gouhier, Bernard Gabay, Adel Hakim, Nathalie Royer et Charlie Windelschmidt.
Marivaux est doté d’un regard sans concession et d’une froide lucidité sur le monde qui l’entoure et même s’il écrit, dans "Le cabinet du philosophe" où il découvre le vrai visage du monde, "Je n’ai jamais été si content ; je ne me suis jamais diverti de si bon coeur que depuis ma découverte. Je suis à la comédie depuis le matin jusqu’au soir." cette comédie est grinçante et dépourvue de toute aménité. A cet égard, "La fausse suivante" en est la parfaite illustration.
Comme tous les libertins, Lélio doit se conformer aux usages de son temps et se résoudre au mariage. Mariage de raison bien sûr dont il convient de compenser le poids des chaînes par la contrepartie pécuniaire d’une dot confortable.
A peine son choix, assorti d’un dédit en cas de rupture de fiançailles, porté sur la comtesse ("J’aimais la Comtesse, parce qu’elle est aimable ; je devais l’épouser, parce qu’elle est riche, et que je n’avais rien de mieux à faire"), un parti plus séduisant en terme financier se présente.
Et quel meilleur moyen que de faire se dédire l’autre en lui jetant dans les bras un rival ? Mais les deux femmes, illustrations de la condition féminine de l’époque, se méfient et chacune va éprouver ses sentiments à sa manière. Par le jeu de l’inconstance pour l’une, veuve enfin libérée d’un mariage de raison en quête d’amour. Par le jeu du travestissement pour l’autre soucieuse de la sincérité des sentiments du prétendant.
Et les valets dans tout cela ? Outre leur quête permanente de survie en soutirant écus sonnants et trébuchants aux riches, ils jouent le rôle de jokers dans ce jeu de dés pipés.
Un siècle avant, orgueil, trahison, corruption, manipulation, tous les leviers chers à Choderlos de Laclos s’y retrouvent en prémisses. Et Charlie Windelschmidt est un Lélio pâle esquisse d’un Valmont fat et suintant de cupidité et Valérie Crunchant une superbe jeune comtesse qui se fait les crocs proche de Madame de Merteuil.
Alors que "La double inconstance" s’embourbe dans son allée terreuse à Chaillot, "La fausse suivante" s’envole, le pas ailé, sur le tapis de feuilles mortes qui recouvre la scène du Théâtre des Quartiers d’Ivry dans une mise en scène d’Elisabeth Chailloux d’une redoutable efficacité de métronome et de vivacité.
Point de langueur, point d’atermoiement, point d’affectation. Dans un décor minimaliste, elle va à l’essentiel, au texte, tout en y insuflant une grande modernité, qui décrit, au royaume des masques, l’implacable guerre des sexes et la pérenne lutte des classes avec cette langue qui, sous un verbe exquis, dissèque les âmes avec une précision de chirurgien.
Les comédiens sont tous remarquables dans cette confusion des sens et des valeurs avec un coup de cœur pour Adel Hakim en Trivelin truculent d’intelligence rusée et Nathalie Royer époustouflante en chevalier trouble.
Une parfaite réussite donc.
|