Leader de feu Montecarl auteur en 1998 d'un unique album en
forme de chef d'œuvre ("Quatuor Sonique"), mêlant accents
sixties prononcés et guitares acérées, Philippe
Uminski, donnait rendez-vous début septembre à Froggy
Delight dans un bar branché près de Bastille : l'occasion de revenir
sur une carrière déjà bien remplie avant la sortie prochaine
de son désormais très attendu deuxième - sans compter le
6-titres live Sauvage paru l'an passé - album
solo.
Avant toute chose, quel a été ton parcours musical avant la
formation de Montecarl ?
Mes parents m’ont envoyé étant môme en école
de musique et puis j’ai découvert les Beatles vers 5-6 ans dont
je n’ai jamais vraiment décroché. Je viens d’un bled
du sud-ouest où j’ai rencontré un pote avec qui j’ai
fait de la musique jusqu’à l’âge de 20 ans Romain Humeau
qui est devenu le chanteur d’Eiffel . Avec Romain, on avait monté
nos premiers groupes vers 10-11 ans avant de partir ensemble au conservatoire
de Toulouse pour étudier la musique classique : guitare classique …
mais j’ai un peu lâché l’affaire ...
Je suis ensuite monté à Paris où après quelques
petites annonces j’ai rencontré Hervé (batteur de AS Dragon)
avec qui on a monté Montecarl : c’était en 1996. Puis Hervé
a amené Stéphane qu’il connaissait depuis l’adolescence
(ils ne s’étaient pas vus depuis 10 ans) et moi le bassiste, un
pote parisien.
Maintenant, sur la courte existence de Montecarl
Dès qu’on s’est rencontré Hervé m’a
dit "on va pas s’entendre. J’ai bien envie de le faire mais
je sens que je vais pas pouvoir te supporter", avant de me rappeler une
semaine plus tard pour me dire "bon tant pis, on va le faire quand même".
On
s’est ensuite mis au travail, à bosser comme des tarés pendant
deux ans à répéter tous les jours comme des forçats.
On n’a pas du tout fait le truc "répète du dimanche",
on a tout de suite commencé à composer les morceaux et donc après
tout est allé super vite : on s’est monté en 1996, signé
en 1998, gavés de concerts et on a sorti un album en 1998 chez East West
et là ça a un peu été la déconfiture.
Le groupe n’a pas mal marché mais il aurait fallu qu’on en
fasse un autre ... L’ambiance commençait vraiment à être
mauvaise et on a splitté pendant l’enregistrement du deuxième
album.
Fort dommageable car votre album avait eu un super accueil critique
Tout à fait mais on passait un peu pour des petits cons. En
province, les gens étaient un peu frileux, il fallait systématiquement
qu’on aille faire des concerts pour que les gars changent d’opinion
à notre sujet. On avait eu des gros papiers dans Rock & Folk et ils
se disaient "c’est pas possible que des gars dont on n’a jamais
entendu parler aient d’un coup six pages dans Rock & Folk", tout
ça parce que Manœuvre avait fondu sur nous.
A l’époque on était tellement impatients et demandeurs qu’on
ne s’est pas rendu compte que tout allait bien pour nous. Peu à
peu, les mecs finissaient par se laisser séduire et il aurait fallu qu’on
fasse ce que font tous les groupes : faire trois albums et ça aurait
commencé à être vraiment intéressant, au niveau de
la notoriété. On a été impatients en fait …
Donc après la fin de feu Montecarl, que sont devenues les chansons
du deuxième album en cours d’enregistrement ?
En fait, heureusement qu’on n’a pas fait l’album,
car ça aurait été un très mauvais album de Montecarl,
on était vraiment paumés : il y avait de très bons morceaux
dont certains sonnaient soul limite Otis Redding. C’était du bon
rock un peu à la Buzzcoks, style Montecarl et ça a donné
mon album où j’ai encore exagéré la tendance schizophrène,
mais c’était globalement ce répertoire là.
De toute façon, c’est toi qui écrivais une bonne partie
des chansons ?
Oui. Stéphane écrivait des supers chansons mais n’arrivait
jamais à les terminer, ou à faire les textes donc on ne les jouait
jamais, mais j’en ai écrit une ou deux avec lui sur le premier
album de Montecarl. C’est d’ailleurs lui qui a écrit le tube
de AS Dragon, "Pas chez moi": je préfère la version
US à la version française mais c’est une chanson de Stéphane.
En fait entre l’écoute de l’album de Montecarl et de
ton premier album solo, il y a vraiment une grosse différence, moins
seul contre tous, plus calme, comment tu expliques ça ? Le contrecoup
peut-être ?
Au sein de Montecarl, c’était sans cesse la friction
: quand tu répètes, que tu t’éclates la tête
tous les jours avec les amplis à fond, de la musique bruyante, ça
fait monter le stress, l’agressivité et ça se ressent sur
les rapports. Quand le groupe a splitté, ça a été
un véritable soulagement pour nous tous et pour moi particulièrement.
J’ai tout de suite eu envie de changer parce que j’avais l’impression
d’être complètement perdu : tu finis par faire toujours la
même chose sur scène, à balancer ta guitare au même
moment.
Le fait que East West m’ait re-signé y est également pour
beaucoup : je me suis retrouvé tout seul, protégé par personne.
Ils ne me l’ont pas dit mais il était évident que je ne
pouvais pas tirer mon épingle du jeu dans un contexte rock, un chanteur
rock tout seul, ça n'a pas de sens, donc évidemment, j’allais
me diriger vers quelque chose de plus pop.
Dernière chose, on était à l’époque du tout
electro, aucun disque de rock ne sortait, ça ne pouvait que m’influencer
… et forcément, j’ai finit par m’y intéresser.
Sur ton album solo, Ravalec t’a écrit deux textes, comment
ça s’est passé ? C’est toi qui a eu l’idée
de travailler avec lui ?
Ca s’est fait assez bizarrement en fait. Pour Montecarl, j’avais
eu pas mal de critiques au niveau des textes et j’ai fait l’erreur
de les écouter comme quoi c’était trop 19e siècle,
trop compliqué, incompréhensible, comme si c’était
un peu le point faible du groupe. C’est parce que j’avais écouté
ces remarques que les textes du deuxième album sont assez faibles : je
ne savais plus comment m’exprimer.
Ravalec, j’ai voulu le rencontrer parce qu’on m’avait dit
c’est un pur moment de rock’n roll, "rencontre le", essayez
de faire des choses ensemble mais ça a été plutôt
difficile de collaborer. C’est un mec super sympa mais il n’a pas
trop le sens du rythme, c’est un écrivain avant tout, il n’est
pas un auteur de textes sans compter que je le soupçonne de considérer
la chanson comme quelque chose de mineur, de facile, qui ne nécessite
pas d’être léché.
On a donc bossé sur "La Ville" : il m’a donné
de la matière mais j’ai été obligé de réécrire
pas mal parce que j’étais extrêmement tatillon et lui n’avait
pas que ça à faire. Sur "3000", c’est une adaptation
d’un passage de ses bouquins déjà publié : "Nostagie
De La Magie Noire" je crois.
Quand je t’ai vu l’an passé à la Boule Noire
en première partie des Walkmen, le parti pris était quand même
beaucoup plus rock que sur l’album, plus dans l’esprit du 6-titres
« Sauvage », comment expliques-tu ce décalage ?
Pour moi l’album était une erreur nécessaire,
il n’a pas du tout marché, tous les gens qui se sont intéressé
à moi avec Montecarl se sont détournés, parce que personne
ne comprenait ce que je voulais faire. On pensait que j’étais un
vendu en voulant avoir du succès avec une musique plus pop, mais c’est
débile car cet album est plus compliqué … Il n’y a
pas de singles … J’ai tout fait moi-même …
En quelque sorte, j’ai appris mon métier : je l’ai fait,
j’ai pris une bonne claque. En fait, je n’avais pas vu à
quel point il était froid et sophistiqué et quand je m’en
suis aperçu, j’ai fait le 6-titres live en studio en deux jours
où j’ai rejoué les mêmes titres que sur l’album.
Il est normal de critiquer le travail du passé mais je trouve qu’au
niveau des textes, ce premier album solo n’est pas très intéressant.
Je sens que j’ai été un peu vide, fatigué, par contre
"Sauvage", on sent que j’ai vraiment envie de le faire : c’est
basique mais efficace.
Actuellement, je suis en studio et je fais un disque : ça ne fait aucun
doute, c’est du rock’n roll.
Quand penses-tu qu’il sera terminé ?
On est en plein mixage et il sera fini la semaine prochaine –
mi-septembre – mais je ne pense pas qu’il paraisse avant janvier
parce qu’on va sortir un single puis aller voir les tourneurs pour pouvoir
le défendre correctement sur scène.
Avec le 6-titres, on a retrouvé de la crédibilité sans
que cela nous permette de revenir sérieusement en faisant beaucoup de
concerts. J’espère que l’on va vraiment beaucoup jouer au
printemps d’autant plus que maintenant j’ai vraiment un très
bon groupe : on tournera en trio avec des musiciens du groupe de la Boule Noire.
Après mon premier album solo, on avait essayé de répéter
avec le groupe pour jouer les chansons de l’album mais ça s’est
avéré complètement impossible. Après le maxi, les
choses ont commencé à changer, la Boule Noire et les Transmusicales
se sont bien passées. Entre temps on a aussi fait une reprise de Daft
Punk, un mélange de "Harder, Faster, Better, Stronger" et "Da
Funk" et on en a fait un vinyle qu’on a donné aux DJs.
Il a super bien marché : les 2 Many DJs le joue sur leur set, on est
sur des compiles en Angleterre ... Ce titre va être sur l’album
et risque d’être le premier single. G
lobalement s’il faut résumer, Montecarl, c’était très
très bien parti, ensuite l’énorme dégringolade et
maintenant on est en train de remonter la pente.
Sinon j’ai un autre groupe qui s’appelle les Stupid Cupids –
en concert le 5 novembre au Pulp –, un trio à la Supergrass époque
premier album, en anglais, hyper power punk : c’est super de faire des
choses en anglais, c’est tout de suite tellement plus rock, plus naturel
mais le projet en français est bien aussi.
Pour revenir sur tes références musicales, j’ai le
souvenir d’avoir vu en 98-99 dans Rock & Folk une setlist d’un
de vos concerts où figurait « I Can’t Seem To Make You Mine
» des Seeds …
Je suis inconditionnel de garage et d’ailleurs je suis allé
voir les Seeds en juin au Café de la Danse, c’était magnifique,
un des plus beaux concerts de ma vie. J’ai enfin vu un vrai concert des
sixties, Sky Saxon déchiré dansant comme un fou.
On avait formé Montercarl ça parce qu’on adorait tous le
garage … Hervé est aussi un inconditionnel du garage, même
plus que moi … et c’est vrai qu’on jouait ce morceau des Seeds
… Mais j’en écoute moins maintenant : j’essaye de me
prendre la main pour écouter System Of A Down ou QOTSA que j’adore
(rires).
Sinon, tout le mouvement punk, ça a eu une influence sur toi ?
Ouais carrément aussi, sur le 6-titres il y a justement une
reprise des Buzzcocks, qui sont un peu le côté élégant
du punk … c’est vrai que j’ai moins aimé les Sex Pistols
… dès que ça fait du bruit et qu’on balance la guitare,
j’adore.
Et sinon, que penses-tu du retour du rock à guitare, Strokes et
consorts ?
Sincèrement, je n'ai pas à me plaindre, je trouve ça
super que ça ait lieu. Les Strokes, je ne suis pas allé les voir
sur scène. Les White Stripes, je n’ai pas trouvé ça
bien mais j’ai bien aimé leur disque.
Par contre, le même soir – aux Inrocks en novembre 2001 –,
j’ai adoré les Von Bondies : la guitariste qui chaloupe, tu sens
que c’est un petit groupe de lycée qui en veut vraiment, des boutons
partout, petit nerveux, frustré sexuellement … ça c’est
bien !
Sinon pour le mouvement, je préfère largement qu’il y ait
ça à de l’electro. J’adore les Hives aussi. En fait,
je suis toujours en décalage : à l’époque de l’electro,
je kiffais le garage et maintenant que c’est le néo-garage, c’est
Queens Of The Stone Age : ils sonnent 70’s, 90’s tout en même
temps, super moderne super référencé, un fan de vieux rock
peut y trouver tout ce qu’il a à y trouver sans pour autant être
arrêté sur la case attitude.
En parlant d’époque, tu n’as pas l’impression
que si Montecarl sortait maintenant ou avait percé l’an passé,
vous seriez vraiment devenus énormes ?
C’est ce que disent plein de gens … Regarde AS Dragon,
ils ne sont pas devenus énormes. Pourtant ils sont le groupe de garage
néo-parisien comme Montecarl était le groupe de garage néo-parisien
… donc si Montecarl sortait aujourd’hui, Montecarl n’aurait
probablement pas émergé, ça aurait été le
même truc.
En France, le type de rock qui peut marcher n’est pas le même :
Eiffel a tiré son épingle du jeu parce qu’ils sont dans
le truc français, associatif … c’est ça l’esprit
rock français. Dès que tu fais du rock un peu poseur, avec tout
ce que ça a de bien, c’est hyper apprécié des vieux
journalistes qui ont connu l’époque mais le public a envie d’autre
chose.
Question traditionnelle pour finir l’entretien, si tu devais définir
ta musique en trois mots, lesquels choisirais-tu ? :
Energie, singularité et humour, mais je pense pas mal à
mon prochain disque aussi …
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