En pleine tournée Les inrocks-Nokia, Vénus évoque
son passé, qui s’il est récent nous semble être celui
d’un groupe déjà rodé. En perpétuel questionnement
artistique, le groupe nous parle de son cheminement artistique et des préceptes
qui guident sa musique…
Entre le premier album, Welcome To The Modern Dance Hall, The Man Who Was
Already Dead, et le nouveau Vertigone, pensez-vous qu’il existe une linéarité,
une continuité, ou est-ce un enchaînement d’expériences
un peu à part ?
Pierre (contrebasse) : The Man Who Was Already Dead était
en tout cas une expérience, complètement différente. C’était
un projet pour un concert unique, avec un orchestre, pour un soir, et c’est
d’ailleurs pour cela qu’on a voulu en faire un disque pour avoir
une trace. Mais il y a un esprit commun dans le travail de Vés, avec
une évolution, d’autres idées, d’autres envies, de
nouvelles sonorités. Marc pose différemment sa voix, entre Welcome
To The Modern Dance Hall et Vertigone, il a un chanté plus posé
qu’avant. C’est une évolution, tant au niveau de la musique
que de l’écriture des textes. Le groupe est devenu quelqu’un
qui a vécu des choses et par conséquent s’exprime différemment.
C’est comme comparer la personne que j’étais à 20
ans et celle que je suis maintenant, je suis la même personne mais j’ai
évolué, je ne pense plus la même chose par rapport aux mêmes
sujets, mais ça reste moi, et dans la conception des albums, c’est
le même principe.
Le groupe connaît une évolution. De notre côté, à
Jean-Marc et à moi, le fait de s’investir dans un projet qui existait
déjà, nous oblige à nous mettre au service de ce projet,
et si ça fonctionne avec J.-M. et avec moi, c’est qu’on su
intégrer ce qui existait. Marc est à l’origine des compositions
(de 90% des textes).
Jean-Marc (batterie) : il existe depuis le début une identité
forte, on ressent dans Vertigone une maturité, mais tout reste cohérent
Par rapport à la ligne acoustique de Vénus, dans un forma
très pop, pouvez vous nous dire d’où ça vient, car
une telle formation avec violon et contre bassiste n’est pas fréquente
? C’est un concours de circonstance ?
P. : Non, ce n’est pas si rare, du moins pas exceptionnel.
A la base, Marc et Christian travaillaient ensemble, Marc avait laissé
de coté sa guitare acoustique et Christian avait fait des études
de violon, mais depuis avait joué dans des groupes, s’était
mis à la guitare. Marc lui demande de prendre pour un morceau son violon,
et puis pour un autre… La première formule de Vénus était
avec basse électrique, mais ça ne fonctionnait pas bien, alors
ils ont décidé d’essayer avec un contrebassiste. Ce désire
d’acoustique est donc né sans se poser plus de questions que ça.
Et le format chanson a toujours existé ? Parce que avec un violon
et une contrebasse on peut travailler sur des morceaux plus expérimentaux,
plus rock progressif…
P. : Non, il n’y a que des chansons, le cadre a toujours été
et est toujours celui de la chanson.
Pour revenir sur l’album The Man Who Was Already Dead, comment s’est
déroulé le travail avec l’orchestre ? Etait-ce difficile
? Cela a-t-il été un long travail ?
P. : Non pas assez long ! Cette expérience s’est passée
un peu dans l’urgence, ce qui n’aurait pas du ! On a par exemple
reçu les dernières partitions la veille, à huit heures
du soir. On est en outre de mauvais lecteurs, et on se retrouve tout à
coup avec des partitions à lire, car bien sûr on ne jouait pas
les mêmes parties qu’avant. Moi j’ai planché jusque
trois heures du matin sur les partitions. Mais en tout cas au niveau de l’expérience
c’était assez magique, jouer avec et au sein de l’orchestre.
Au sein de l’orchestre on était placé d’une manière
particulière. Christian était avec les violonistes, moi j’étais
à l’autre bout avec violoncelles et contre basse, Thomas le batteur
de l’époque était avec le percussionniste classique, et
Marc était un peu isolé, sur le devant. Il nous fallait participer
à l’orchestre, jouer dans le son de l’orchestre.
Une expérience à réitérer ? P. : Peut-être pas forcément, peut-être faire autre
chose. Non, je suis très heureux de l’avoir vécu, c’est
comme la première fois que tu joues en big band.
Est-ce que cette expérience vous a resservi pour Vertigone ?
P. : Je crois qu’elle a ouvert des portes au niveau des arrangements.
On s’est rendu compte qu’on avait la capacité d’écrire
pour faire un quatuor à cordes.
Elle a ouvert des portes sur des envies de sonorités qu’on n’aurait
pas eues autrement. On a pu apporter de nouvelles idées sans pour autant
refaire sur l’album le disque live. On a par exemple sans complexes utilisé
des timbales, une flûte, un quatuor…
On ressent dans Vertigone une certaine densité assez rare. Est-ce
que le fait de jouer avec un orchestre, qui amène forcément une
densité musicale, vous a influencé à tel point de vouloir
reproduire cela sur Vertigone ?
P. : Non, enfin pas consciemment par rapport au fait d’avoir
joué avec l’orchestre. On en n’a pas reparlé en se
disant il faut le faire. On s’est laissé allé à ce
qu’on avait envie de faire à ce moment là, c’était
l’énergie du moment, plus qu’un plan discuté. Mais
c’est vrai, quand on réécoute les morceaux on retrouve quelque
chose de dense, pas forcément dans la quantité d’instrument
mais dans la manière de jouer. On trouvait déjà ça
dans le premier album, quelque chose de très dense avec quatre instruments.
Avez vous travaillé avec un producteur pour Vertigone ?
J.M. : Non. Nous travaillons de manière démocratique,
chacun expose sa vue. Après on cherche à faire ressortir le meilleur.
Tout le monde a envie que l’album soit le mieux possible.
P : Souvent Marc est à la base des morceaux et arrive avec une idée
précise, préconçue de ce qu’il veut entendre. Alors
il arrive en studio et nous demande d’essayer de le reproduire ce qu’il
entendait. Parfois cela fonctionne et on lui dit « c’est super »,
mais à d’autre moment ça ne passe pas alors on lui fait
comprendre, on retravaille, on fait des propositions et puis on équilibre.
Mais comme nous sommes tous investis dans le projet, il faut faire quelque chose
qu’on aura envie de jouer et de défendre !
Si une personne nous guide, nous dit il faut jouer ainsi, alors on se retrouver
presque dans une position d’interprète, et ça n’a
pas d’intérêt.
Cette cohésion a joué pour Vertigone par rapport à
la mauvaise passe qu’a connu Vénus ?
P. : Oui, en fait il y a toujours eu cette cohésion, moi je suis
là depuis quatre ans. Parfois, c’est vrai l’ego prend du
terrain, mais on retombe toujours sur cette volonté commune d’avancer
ensemble. Ton ego, tu dois le mettre de côté.
Il faut qu’à la fin de chaque morceau chaque membre du groupe soit
enthousiaste à 100% Si un membre dit : « oui c’est pas mal,
mais moi je n’aime pas trop », cela n’a aucun intérêt.
C’est en fait la posture du musicien de studio, mais ce n’est pas
notre cas.
Jean-Marc, en tant que nouveau batteur, et au regard de ton expérience
passée, très riche, quel a été ton apport dans Vénus
?
J.M. : Je ne suis peut-être pas la personne la plus objective
pour répondre ! Au moment où je suis venu, ce que j’ai apporté
est peut-être une certaine distance par rapport à ce qu’ils
étaient en train d’enregistrer. Ils m’ont envoyé les
morceaux avant que j’arrive, et de mon côté j’ai composé
des passages de batterie, que je leur ai présenté. C’était
par moment très loin de ce qu’il y avait avant, de ce qu’ils
avaient imaginé. J’ai participé des fois à déplacer
un peu leur avis, à leur dire : « regarde avec ça, c’est
pas mal ». Il y a définitivement eu une approche différente.
En tout cas moi cela m’a apporté beaucoup car la musique de Véus
est très teinté, pleine de couleurs, avec des ambiances très
différentes, des instruments variés.
Et un avis objectif ?
P. : Ah, moi je ne l’aurai pas non plus ! Non, sérieusement,
l’arrivée de Jean-Marc était assez fabuleuse, elle remettait
en cause pas mal de chose, comme nous montrer que ça peut sonner autrement.
De mon côté il m’a fait changer pas mal de lignes de basse,
car il fallait changer, on pouvait faire autrement, et ça rendait bien
! En fait avant que Jean-Marc n’arrive nous avions déjà
passé trois mois à composer, et son arrivée a un peu ouvert
non pas les plaies mais en tout cas a ouvert un débat. On a laissé
passer du temps, et on a évolué. C’est encore ce qui se
passe aujourd’hui quand on travaille pour les concerts. Mais le plus flagrant
ça a été pour les vieux morceaux, c’était
un non-sens de les jouer de la même manière qu’il y a trois
ans, et tout à coup c’est comme redécouvrir le morceau,
et retrouver l’essence de la chose. Et c’est vraiment en grande
partie grâce à la fraîcheur de Jean-Marc.
Par rapport au succès critique et par rapport aux évènements
qu’a connu Vénus, quelle est votre réaction face aux excellentes
critiques ?
P. : Ce serez une erreur de dire qu’on s’en fout. Ca
fait plaisir de « flatter son ego » ! Non c’est surtout d’avoir
réaliser un travail auquel tu crois et de pouvoir le partager. Bon il
est vrai que, par rapport à nos déboires, j’ai eu la trouille,
je me disais que le disque n’allait jamais sortir. Et puis il était
enfin sorti, et il était déjà loin dans ma tête [ndr
: la maison de sique italienne de Vénus ayant déposé le
bilan, le disque est sorti un an après sa réalisation en studio].
Les critiques m’ont donné envie de continuer. Lors de nos premiers
concerts à Rennes lors des Transmusicales, ou on a reçu un super
accueil du public, tu as l’impression de ne pas avoir perdu ton temps
tant dans la conception que dans les batailles pour que l’album sorte
! Mais on n’a pas été que encensé ! Et ça
fait du bien aussi, quand les critiques sont constructives.
Mais vous en aviez quand même besoin ?
P. : Oui, c’est certain.
J.M. : Un an avant la sortie de l’album, on se demandait ce qui
allait arriver, mais en tout cas on avait le sentiment d’avoir enregistré
quelque chose de bien, notre force résidait là dedans, on y croyait
vraiment.
Une mauvaise critique aurait pu vous tuer…
P. : Oui mais la volonté pour sortir l’album vient du fait
que nous on y croyait. En tout cas les critiques il faut les lire avec distance.
Au niveau de l’adaptation scénique de l’album, et de
la tournée qui est en route depuis fin décembre, comment s’est
passé le passage à la scène de Vertigone, et comment faites-vous
par exemple pour jouer du Vertigone dans un festival comme Dour, en plein air
?
P. : On a voulu prendre à contre-pied les festivals ! Dans
le sens où plutôt que d’essayer de jouer plus fort, on a
voulu jouer moins fort, et donc nous étions plus acoustiques encore !
On avait envie d’aller dans cette direction, c’est né d’une
tournée de FNAC, où là on jouait quasiment unplugged.
Et à pour le trimestre à venir, vous avez gardé le
même chemin acoustique ?
P. : Non, on a de nouveau revu notre « ligne éditoriale
» [rire] ! Il est intéressant que chaque chanson ait une vie et
que donc elle évolue, et en la jouant de nouvelles idées arrivent…
Dans chaque album il y a une vie, cette vie ce sont les concerts.
C’est l’exemple de She’s so disco qui à Dour a
été joué très acoustique, et donc quasi transfigurée..
P. : Oui, c’est très gratifiant pour un musicien de pouvoir
évoluer et faire évoluer ce qu’il a créé!Et
c’est aussi intéressant pour le public qui ne va pas en concert
pour qu’on lui serve la version album.
D’où vient ce dynamisme belge ? C’est un terme un peu
galvaudé, celui de la scène belge, mais pourtant c’est une
réalité. Comment un « si petit pays » (sic) est-il
aussi actif ? Je désire surtout mettre cette question en rapport avec
le problème de l’intermittence qui a traversé la France
cet été…
P. : Oui on compte beaucoup moins sur l’Etat !
Et pourtant ça marche ?
P. : Oui,on a beaucoup moins de sous, de subsides, il n’existe
pas de statut d’intermittent. L’artiste n’est pas reconnu
entant que profession. Ca donne parfois plus la gniac quand tu dois te débrouiller,
que quand tu as des moyens… Mais en même temps, la scène
belge, je ne sais pas ce que c’est…
J.-M. : Oui, la Belgique fourni un contre exemple, tout comme l’Angleterre,
le Danemark… Il n’y a qu’en France que ce système existe
! Mais il est aussi envié par tout le monde. Ce qu’il faudrait
c’est même un alignement des autres pays européens sur la
France qui a trouvé un système, imparfait certes, mais qui permet
une reconnaissance de l’artiste.
Aujourd’hui encore les revendications continuent, et il y a de bonnes
propositions. Par exemple ce n’est pas normal que tout le monde profite
de ce système, mais il faut conserver et approfondir le système
de solidarité envers les artistes qui gagnent moins, qui percent. On
a tous commencé un jour, dans la galère. Ce serait plus sain s’il
y avait un système d’entraide.
Enfin, concernant l’avenir, existe-t-il un projet, voulez vous refaire
un album de transition comme après Welcome To The Modern Dancehall?
P. : On a encore pas mal de travail à faire sur cet album
!
J.M : Non, en fait on va splitter et faire un come back médiatique dans
dix ans… [rires]
Donc il n’y a rien d’écrit ?
P. : Non
[entrée de Marc Huyghens, le chanteur-compositeur]
Marc : non, rien d’écrit !
P. : On n’est pas de ces groupes qui composent en tournée.
Quoique parfois des idées nouvelles sont nées en tournée
; c’est le cas de Beautiful Day. Quand on tournait il y a trois ans, Marc
avait sa mandoline, et au soundcheck il jouait toujours le petit riff qu’il
fait dans le refrain… Chacun a trouvé ça joli, et c’est
comme ça qu’est née la chanson ! |