"Debout les morts", le 4ème roman policier de Fred Vargas commence par quelques considérations désabusées sur l’amour et le mariage et un fait hors du commun.
Lors du petit déjeuner, une femme regarde par la fenêtre ("Pierre lisait le journal au petit déjeuner. C’était peut-être pour ça que Sophia regardait si souvent par la fenêtre"). Elle voit un arbre sur sa pelouse. Et c’est la présence de cet arbre qui constitue l’événement extraordinaire qui éveille sa curiosité et son inquiétude tout simplement parce qu’il n’y était pas la veille.
Aussitôt le lecteur féru des experts-CSI Las Vegas pressent le drame de l’arbre transgénique à croissance instantanée masquant un enfouissement macabre et n’a de cesse, comme la femme, d’en avoir le cœur net. Face à un mari incrédule et indifférent, celle-ci s’adresse à ses voisins.
Entre alors en scène un trio infernal d’historiens loosers qui ont décidé de cohabiter dans la masure voisine ("Au bout deux ans, le seul réflexe d’un homme dans la merde est de chercher un autre homme qui soit dans la merde. Car fréquenter ceux qui ont réussi là où vous avez tout raté à trente-cinq ans aigrit le caractère.").
Marc, le médiéviste mince et anguleux toujours vêtu de noir, Mathias le préhistorien blond toujours nu sous ses vêtements et Lucien le contemporanéiste au visage d’enfant et à la cravate d’homme spécialiste de la Grande Guerre, vont mener l’enquête sous la houlette de l’oncle du premier, le vieux Vandoosler, policier à la retraite, qui les rebaptise les évangélistes Marc, Matthieu et Luc.
Par ce clin d’œil à son métier de "chercheur de l’inutile" et à sa tribu (toute ressemblance avec des personnes réelles n’étant absolument pas fortuite), Fred Vargas introduit de nouveaux personnages qui deviendront récurrents et donnent toute sa saveur au roman en entraînant le lecteur dans une enquête à la manière d’une simple aventure du club des cinq si elle ne se transformait en chasse à l’homme. Car la femme qui regardait par la fenêtre disparaît puis est retrouvée carbonisée.
A propos d’évangélistes, ceux de Vargas sont comme les Trois mousquetaires, ils sont normalement quatre. Les quatre évangélistes réunis en une seule image qui rend compte de leur profonde unité en même temps que de leur complémentarité et qui présentent quatre regards différents sur la seule personne de Jésus-Christ et son mystère.
Le 4 à la riche symbolique dont l’inverse du signe de croix des catholiques, chiffre de la rédemption, chiffre fétiche de Fred Vargas que l’on trouve souvent dans ses romans ("Pars vite et reviens tard", "Les 4 fleuves"…). Mais où est donc passé le 4ème ? Jean, le bien-aimé du Seigneur, l’auteur de l’Apocalypse ? Au lecteur de le reconnaître. L’intrigue dans l’intrigue.
En intermèdes, quelques ébauches d’amour platonique avec la patronne d’une petit restau et la nièce de la morte, car Fred Vargas trop lucide pour être sentimentale n’affectionne pas les romans à l’eau de rose ("Romans d’amour en quatre-vingt pages. L’homme est félin mais compétent, la femme radieuse mais innocente. A la fin, ils s’aiment comme des dingues et on s’emmerde franchement. L’histoire ne dit pas quand ils se séparent.").
Bon sang de bois, c’est quoi cet arbre de malheur ? Un arbre qui cache la forêt ? |