Le Musée de la Vie Romantique, installé dans l’Hôtel Scheffer-Renan, situé au cœur du quartier de la Nouvelle Athènes dans lequel a vécu l’élite du mouvement romantique parisien au 19ème siècle, présente, outre ses collections permanentes, des expositions temporaires dont celle en cours "Sang d’encre" est consacrée à l’œuvre graphique de Théophile Bra dont le nom est davantage connu des spécialistes de la statuaire.
En effet, Théophile Bra était reconnu parmi les meilleurs sculpteurs de la première moitié du XIXe siècle.
Ses dessins, qui n’étaient pas destinés à être exposés au public, et qu’il montrait à quelques rares fidèles, trouvent dans l'atmosphère feutrée et les lumières tamisées des deux ateliers à verrière de l’ancienne maison du peintre Ary Scheffer un lieu privilégié d’exposition.
"Quel admirable et douloureux sang d’encre coulait en son âme et (in)conscience ?" écrit Daniel Marchesseau, le directeur du musée.
Un sang d'encre qui se déversait à flots et dont il a couvert les pages de son journal intime, "L'Evangile rouge", et des milliers de feuillets qui sont loins d'avoir, à ce jour, révélés tous leur sens et leur mystère.
Une vocation religieuse contrariée, une vie familiale perturbée, un vécu intime traumatisé par une crise mystique à quoi s’ajoutent un goût pour le savoir livresque et l’addiction, d’ailleurs commune au siècle des Lumières, aux pratiques illuministes venues d'un obscurantisme archaïque, telles le magnétisme, le spiritisme, le somnambulisme spontané ou provoqué, puis les déclinaisons modernes comme l’hypnose, amènent Théophile Bra à vivre hors le monde réel. De l'expressionnisme flamboyant à l'abstraction
Son âme tourmentée l’entraîne dans un délire graphomane
Il relate inlassablement toutes ses divagations, ses rêves, pratique l’amalgame des religions indiennes, des préceptes francs-maçons et des croyances médiévales pour bâtir un système syncrétique d’interprétation du monde.
Divagations cosmologiques, errances mystiques, crises d’angoisse, terreurs existentielles et questionnement métaphysique se traduisent en calligrammes habités aux dessins d’une puissance expressive étrange et fascinante.
"Illuminé romantique", il entreprend un traité illustré intitulé "Etudes historiques anthropogénétiques" et dresse une "iconographie de l"homme".
Il réinvente l’âme lumineuse dont il donne une représentation concrète, ("Incandescence spirituelle"), la création de l’homme, la quête incessante du sens de la vie et l’aspiration à la fusion ultime avec l’Etre suprême originel créateur de toutes choses ("Tout émane du sein de l’absolu et y retourne").
Exhortations, imprécations, théories ésotériques s’imbriquent avec des dessins qui procèdent par anamorphose, se stylisent et deviennent de plus en plus abstraits et le texte abscons.
Les intérêts de cette exposition sont pluriels outre son esthétique étrange, et la coexistence d’une personnalité délirante, sans qu’il soit porté de jugement au plan psychiatrique, avec une théorisation structurée.
On pense par exemple à Yves Klein, rosi-crucien, dont le cheminement artistique jalonnait une recherche mystique en quête de l’absolu, de l’infini cosmique, de l’impossible étoile.
Mais ce qui est tout à fait étonnant est le caractère très novateur de son expression graphique qui en fait le précurseur méconnu du surréalisme et de la représentation abstraite, qui surviendront un siècle plus tard. |