Franchement, je ne m’attendais pas à ça. Pour moi, Dylan
était rangé au musée des légendes qui vivent sur
leur acquis, repartent régulièrement en tournée comme on
relève les compteurs, histoire de payer les impots, avec de toute façon
l’enthousiasme assuré des fans et des curieux. Et c’est vrai
que le Zénith est plein ; la moyenne d’âge n’est en
dessous de 50 ans que parce que chaque couple attiré par les critiques
de Télérama a amené ses enfants adolescents ("Il faut
que tu vois la légende… il n’en a peut-être plus pour
longtemps… je te dirai quand il faudra allumer ton briquet").
Première surprise : ça commence exactement à l’heure
: au point qu’il y a encore probablement des centaines de spectateurs
coincés entre la fouille au corps, les 3 contrôles et les "hôtesses
de placement" de l’insupportable Zénith.
Ca commence par une bande enregistrée d’aboyeurs du genre "légende
du folk des années 60, il découvre le rock en 1965… revient
à Jésus… etc. ladies and gentlemen, the one and only, a
Columbia recording artist : Bob Dylan !" . On est en plein ridicule.
Mais… mais ils attaquent immédiatement par un "Maggie's
Farm" magistral qui donne le ton et me cloue sur ma chaise.
Dylan joue du piano (debout…) et ne jouera que du piano, ce que lui reprocheront
quelques fans irréductibles. Le groupe (Larry Campbell
et Freddie Koella, guitares, Tony Garnier,
basse, George Recelli, batterie) est un excellent groupe de
blues-rock qui déménage avec un gros son – ma préférence
va pour Campbell et sa Telecaster aiguisée qui me rappelle le Clarence
White des Byrds époque Easy Rider.
Le plus étonnant – surtout après "Love and Theft",
le soporifique dernier cd – c’est l’énergie incroyable
de ce groupe : les titres viennent pour la plupart de la meilleure période
dylanienne : Highway 61 ou Blonde on Blonde,
quand des guitaristes géniaux, Bloomfield, Robertson,
etc. lui donnaient la réplique. Et les guitares ont ce soir la part belle.
Encore plus surprenant, Dylan a l’air de prendre du plaisir. Je me souvenais
d’un concert de 1988 où Tom Petty et ses magnifiques Heartbreakers
essayaient désespérement de suivre un Dylan complètement
désintéressé. Ce soir, entre chaque morceau, il va encourager
et diriger les musiciens.
Et puis, dernière bonne surprise, il sait encore chanter…
Les titres s’enchaînent sans répit et sans un mot de Dylan.
Tout est parfaitement carré (il faut dire que c’est quelque chose
comme le 1500ème concert de la Never Ending Tour…) 19 morceaux,
plus de deux heures sur scène ; pas mal pour un petit vieux de 62 ans.
On ne le voit que de loin mais il a l’air un peu bizarre, ces gestes sont
saccadés, il ne tient pas en place.
On lui pardonne : il vient pendant ces deux heures d’ouvrir une fenêtre
sur une époque qui lui plaisait, quand il (lui et la plupart du public)
avait 20, 30 ans. J’espère simplement que Télérama
n’avait pas promis à ses lecteurs qu’ils auraient droit à
"Blowing in the Wind" en acoustique… |