Comédie de Shakespeare, mise en scène de Bernard Mallek et Paola Rizza avec Hervé Colombel, Franz Debrebant, Jacques Dennemont, François-Paul Dubois, Marine Gandibleu, Thierry Garet, Thomas Lequesne, Baptiste Mallek, Carlos Ouedraogo, Alexia Papineschi et Frédéric Touitou.
Prospéro, duc de Milan, passionné de grimoires, dépossédé de son trône par son frère félon qui l’a vendu à la Reine de Naples, rescapé d’un assassinat, vit en exil sur une île déserte uniquement entourée de sa fille Miranda, de Caliban, méchant rejeton difforme d’une sorcière, qu’il tente d’éduquer et d’Ariel, émanation spirituelle bienveillante.
Philosophe, démiurge, sage, magicien, il aspire néanmoins à la justice et la frontière avec la vengeance est ténue. Son entreprise, déterminée et paisible, revêt une modalité singulière. A l’exécution de la vengeance primaire, dépourvue de vertu éducative, il privilégie l’épreuve de la perte qu’il inflige à chacun des protagonistes, perte de la compagnie des hommes, perte de l’être cher, perte du pouvoir.
A la suite d’une tempête qu’il a initiée, le vaisseau de la Reine de Naples s’échoue sur l’île faisant resurgir les vestiges du passé comme au temps du jugement dernier. Dans une atmosphère étrange et terriblement paisible malgré le fracas du ciel, dans un no man’s land battu par des voiles aux couleurs de terre et de mer, dans des clairs-obscurs organiques, apparaît la belle et fascinante figure de Prospéro, admirable François-Paul Dubois qui en donne une incarnation magnifique, vibrante de magnanimité et de force tranquille.
Voilà le spectateur transporté dans une 4ème dimension, non pas celle du rêve, non pas celle de l’au delà, sur une terre inconnue, royaume du grand sommeil peut être, entre les forces célestes et les démons terrestres, où s’effectue la pesée des âmes de l’homme nu, ou celle des circonvolutions du subconscient, là où l’homme se cherche et se trouve à la lumière de certains événements, dans ce huis clos labyrinthique où il peut atteindre l’humanité qui le différencie des animaux et donner un sens à cette "vie entourée de sommeil".
La scénographie esthétisante avec un travail très approfondi des lumières, l’illustration sonore inattendue, entre mantras et percussions ethniques, totalement intemporelle et adéquate, et les costumes historiques aux lignes épurées, prouvent que, même avec des moyens rudimentaires, la grande scène du Théâtre du Nord-Ouest devient avec "La tempête" le lieu de tous les enchantements. La mise en scène bicéphale de Bernard Mallek et Paola Rizza est une parfaite réussite.
La distribution riche, homogène, judicieuse, aguerrie et totalement investie est un atout majeur de ce spectacle. François-Paul Dubois est la tête de proue incontestée de ce vaisseau allégorique, entre la quête mystique du sage et les pouvoirs animistes archaïques symbolisés par Ariel très hardiment interprété par un comédien noir Carlos Ouedraogo qui donne une très corporéité très charnelle au souffle de l’esprit.
A leurs côtés, Marine Gandibleu donne à la Reine de Naples l’attitude hiératique qui sied aux grands de ce monde même dans l’émotion et Franz Debrebant et Thomas Lequesne jouent les nobles au coeur sec et cruel alors que Jacques Dennemont est l'ami fidèle.
Dans le rôle de Caliban, Frédéric Touitou est stupéfiant de malfaisance rouée et pathétique et forme avec Hervé Colombel, truculent sommelier adepte de la dive bouteille et Thierry Garet, qui se montre aussi à l’aise dans le rôle du bouffon qu’il le fût dans celui de libertin la saison passée dans les rôles de Valmont et d’Octave, un trio qui offrent un beau divertissement proche de la commedia dell’arte.
Et comment ne pas croire à la grâce de l’amour avec Alexia Papineschi et Baptiste Mallek, tous deux totalement dans le sentiment de leur personnage, irradiants d’une pureté merveilleuse.
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