Dans le cadre du festival En compagnie(s) d'été organisé par le groupe G.R.R.R. de Susana Lastreto, qui se déroule au mois d'août au Théâtre 14 et à pour vocation de présenter des spectacles qui sortent des sentiers battus, Bruno Allain propose avec "Inaugurations" une chronique communale douce-amère vue à travers les discours de son maire.
Nous l’avons donc rencontré à cette occasion pour qu’il évoque la genèse de ce projet ainsi que tous ses projets qui sont nombreux pour cet homme qui est à la fois comédien, auteur, écrivain et artiste plasticien.
Nous vous rencontrons à l'occasion de votre spectacle "Inaugurations" que vous présentez dans le cadre du festival En compagnie(s) d'été qui se déroule au mois d'août au Théâtre 14. Sous ce titre vous présentez des discours d'inaugurations. Pourquoi le choix de cette thématique ?
Bruno Allain : La source d'inspiration est constituée par des modèles de discours pour toutes occasions écrits à l'intention des maires qui ont été édités dans les années 20 d'où une connotation IIIème République-Jules Ferry. Ce qui m'a intéressé dans ces textes sont les aspects paternalistes et cocardiers qui constituent le fondement de notre démocratie et de notre république aujourd'hui encore.
Le spectacle comporte à la fois des extraits de textes in extenso, comme celui sur la natation, parfois combinés sous forme de montages, et quelques compositions personnelles, comme le passage sur Internet, qui bien évidement n'existait pas à l'époque, écrit en m'inspirant d'un discours sur les bienfaits de l'électricité ce qui permettait un parallèle s'agissant d'innovations technologiques.
Ce qui est complètement fictif, donc une création personnelle, ce sont le petit village rural et les personnages, à commencer par celui du maire, personnages récurrents qui interviennent au sein des discours et marquent le temps qui passe dans des discours ordonnancés de manière chronologique.
Après ce festival, le spectacle est-il destiné à être joué dans le cadre d'une programmation ordinaire d'un théâtre ?
Bruno Allain : Oui, bien évidemment. Susana Lastreto, qui organise ce festival, m'a donné l'opportunité d'y présenter un numéro "zéro" en quelque sorte, on pourrait dire même le numéro –1 car le vernis n'est pas encore passé dessus, pour éprouver la pertinence du spectacle et le cadrer par rapport aux réactions du public. Mon envie est de le jouer et je vais m'y employer. Surtout que le hasard fait que l'année prochaine se dérouleront les élections municipales ce qui donne à ce spectacle une résonance par rapport à une actualité.
Le format court de ce spectacle est également un atout par rapport à une certaine tendance de la programmation des théâtres.
Bruno Allain : Il est vrai que c'est un spectacle léger entre guillemets, un texte-un acteur, basé sur le plaisir du mot, le plaisir de dire, qui n'est toutefois pas réductible à cela. C'est aussi celui de retrouver les récits de nos grands-parents qui ont vécu à la campagne ou l'ambiance des vacances à la campagne donc de renouer avec des racines rurales dans lequel chacun peut se retrouver. Et puis la commune est le premier maillon de la vraie démocratie participative dont on parle tout le temps. Cela me paraît donc très intéressant et dans l'air du temps si on veut. J'avais ce projet depuis un moment mais j'ai senti aujourd'hui le moment opportun. Donc je voudrais pouvoir le jouer début 2008 dans un lieu comme le Lucernaire, par exemple, qui me paraît bien correspondre à ce genre de spectacle. J'ai bon espoir car la présentation du spectacle comme l'histoire d'un maire depuis son élection jusqu'à sa mort à travers ses discours suscite toujours un frémissement, une lueur dans l'œil de mes interlocuteurs.
Quelles sont vos accointances avec le groupe G.R.R.R. fondé par Susana Lastreto ?
Bruno Allain : Je suis un électron libre par rapport à ce groupe mais j'ai des liens très étroits d'amitié et une connivence d'artistes avec Susana Lastreto que je connais depuis longtemps.
Vous êtes également écrivain, auteur dramatique et peintre. Quelles sont vos autres actualités ?
Bruno Allain : La partie "écrivain" est assez fournie. Notamment avec la parution, en octobre prochain, chez les Editions Punctum, d'un livre qui relate mon expérience au sein d'un collège parisien. En effet, j'ai été pendant 3 ans en résidence dans le collège Utrillo dans le 18ème arrondissement parisien, à la Porte de Clignancourt, coincé entre les maréchaux et le périphérique dans un quartier à la population très défavorisée, qui est répertorié comme un des collèges "ambition réussite".
J'avais un bureau ouvert 2-3 jours par semaine, où je venais écrire, pour que le collège soit témoin de ce qu'est un écrivain qui écrit et évidement pour recevoir des élèves qui avaient envie d'écrire avec moi pendant une heure de permanence. Et un tiers environ du collège est passé chaque année dans mon bureau soit 120 élèves environ. J'ai recueilli ainsi un nombre assez important de textes dont j'ai fait une sélection et que j'ai compilés.
Ce livre intitulé "Viens écrire et tu verras" comporte une petite centaine de textes d'élèves avec une préface que j'ai écris pour résumer du point de vue sensible cette expérience et pour évoquer la nécessité de dispenser une éducation artistique à l'école, à une époque d'élection présidentielle où en a beaucoup parlé mais toujours comme d'une déclaration de principe sans réelle concrétisation sur le terrain. Du moins sans réelle novation et quand il y a en a eu certains se sont empressés de la sabrer. Il m'a donc paru nécessaire de diffuser le fruit de cette expérience.
Ces textes étaient écrits à partir d'une inspiration libre où d'une orientation que vous leur proposiez ?
Bruno Allain : Il s'agit d'une écriture orientée à partir d'une discussion que j'avais au préalable avec l'élève quand il venait me voir et de laquelle se dégageait souvent un sujet ou un thème. Ils ont beaucoup écrits sur le quartier ce qui par ailleurs m'intéressait particulièrement. Leur vision du quartier et de la vie qu'ils y mènent est parfois effrayante, car ce n'est pas gai, et ils ont un regard sur le monde et la dérive humaine extrêmement acéré et rude. Simultanément ils montrent un optimisme incroyable sur ce monde et ses potentialités ce qui est formidable.
Ils témoignent d'une envie extraordinaire de faire et d'apprendre, ce qui paraît parfois anachronique car certains manient le français avec très peu de moyens. Ils ont cet appétit de vivre dans le monde déglingué que leur proposent les adultes, dans les poubelles on vit très bien, pour donner une image. Cette expérience m'a beaucoup touchée et il me parait important d'en faire part. L'insertion d'un artiste dans un lieu cela voulait dire pour tout le monde, y compris la gardienne, qu'écrire devient envisageable "si moi je", surtout à la lecture des textes qui étaient affichés dans les couloirs de l'établissement.Je me suis volontairement arrêté au bout de ces trois années car il faut passer à autre chose. Mais cette expérience doit être poursuivie éventuellement avec d'autres artistes.
Vous écrivez également pour le théâtre.
Bruno Allain : Pour le moment la priorité est ce spectacle mais je suis de tempérament hyperactif et ce métier implique de mener simultanément plusieurs projets pour en voir certains déboucher sur une concrétisation. J'ai écrit une pièce qui s'intitule "Assassinez-moi", que j'aime beaucoup, qui intéresse un metteur en scène par exemple et une seconde, "Tel père", pour laquelle j'ai eu la bourse Beaumarchais, qui va donner lieu à des lectures notamment au Théâtre de l'Est parisien et peut être aussi au Théâtre du Rond Point. Mon énergie va effectivement se trouver monopolisée sur "Inaugurations" mais j'ai de nombreuses écritures en chantier.
Donc 2008 sera peut être une année d'effervescence.
Bruno Allain : Je l'espère. Et il y a également ma casquette arts plastiques. Dans ce registre, je fais des aquarelles, des boites à cris et des sculptures sur fil qui tournent autour d'un travail sur le visage et le cri, ce qui rejoint bien évidemment le théâtre et le travail du comédien. Je travaille actuellement avec l'association Les lézards de la Bièvre et un cabinet d'architecture qui a gagné le concours suite à un appel d'offre de la Mairie de Paris sur le parcours symbolique de la Bièvre.
Ma contribution consiste en l'érection de 3 sculptures monumentales sur fil de 3 mètres de haut dans le parc Kellermann dans le 13ème arrondissement parisien qui doit être effectuée pour avril 2008. Ce projet est très excitant pour moi. Il s'agit d'un travail que je n'avais pas encore fait car jusqu'à présent je réalisais des sculptures sur fil de petit format. Ces sculptures sont composées d'un ensemble de formes géométriques en fil métallique qui composent un visage en trois dimensions qui, par ailleurs sous l'effet de la lumière selon les différentes heures du jour, forment un autre visage.
Donc nous aurons des rendez-vous multiples avec vous en 2008 !
Bruno Allain : Volontiers !