Drame de Shakespeare, mise en scène de Jean-Luc Mingot avec Jean-Luc Mingot et Aïcha Finance.
La transposition théâtrale de ce long poème narratif aux monologues croisés, qu'est "Le viol de Lucrèce" qui entraîne le spectateur, voyeur impuissant et fasciné, dans cette anatomie d'un crime annoncé, un crime, hélas aujourd'hui encore, à la résonance intemporelle et universelle, n'est pas entreprise aisée et la réussite de Jean-Luc Mingot n'en est que plus remarquable.
Tarquin le Superbe, roi despotique, analyse avec une froide lucidité la pulsion dévastatrice qui l'entraîne dans l'inéluctable spirale du crime qui s'est emparé de son corps et qu'il ne peut juguler même par l'évocation du futur qui le déshonorera et conduira à sa perte.
Un corps qui a fixé son désir sur non pas une femme convoitée mais sur l'icône de la fidélité et de la chasteté trop vantée par son époux.
Mais là où la raison succombe chez le bourreau, elle triomphe chez la victime. Lucrèce dépassera l'humiliation et l'anéantissement de la chair par le suicide, acte de rébellion contre la réification du corps de la femme dans une société patriarcale et vengeance ultime en ce qu'elle conduira à la mort du tyran et à l'instauration de la République romaine.
Dans de belles lumières de Florence Enjalbert, une scénographie et une mise en scène très épurées de Jean-Luc Mingot, en adéquation parfaite avec les enjeux dramatiques qui entraînent dans les parts d'ombre et de lumière de chaque personnage, avec ce très bref intermède du masque qui vient dresser la couche fatale, autel de l'immolation tant du bourreau que de la victime, ce spectacle, habité et investi, est totalement et uniquement au service de l'œuvre de Shakespeare.
Sur scène, le texte est magnifiquement interprété et incarné par Jean-Luc Mingot, prince torturé au beau visage à la jeunesse griffée par le temps et au regard embrasé par le fantasme de la transgression et l'insolence de la luxure.
Aïcha Finance, cœur au bord des lèvres, corps profané, si frêle qui s'efface progressivement pour se dissoudre dans le néant de la mort librement consentie comme instrument d'une vengeance à la mesure du crime subi, porte superbement, avec une grande intensité dramatique, le personnage de Lucrèce au panthéon des héroïnes de Shakespeare mais également des figures féminines emblématiques.
Tout est d'une beauté, d'une intelligence et d'une puissance intenses et extrêmes. |