Comédie dramatique de Susana Lastreto, mise en scène d'Agathe Alexis, avec Michel Ouimet, François Frapier, Marie Delmarès et Jaime Azulay.
Le propre de l’adolescence est de se nourrir d’idéaux et de croire en un avenir meilleur. C’est sans compter avec les tourmentes de l’Histoire qui, au gré de ses convulsions politiques, plaque une chape de plomb sur les peuples et obscurcit les consciences.
Dans les années 70, trois adolescents, deux garçons et une fille, dont ils sont tous deux un peu amoureux, font le serment de se retrouver, quoiqu’il soit advenu, pour célébrer le deuxième millénaire.
A l adte convenue, les deux hommes, un diplomate policé et un businessman frénétique, tous deux en smoking blanc, fêtent leurs retrouvailles. Elle, elle tarde à venir. Elle, la révoltée, l’insoumise, la résistante, viendra-t-elle ?
Son évocation ouvre inexorablement le livre du passé et les sourires se figent. Son ombre prégnante envahit les mémoires. Des mémoires qui renâclent à se confronter aux réalités et aux conséquences des choix de vie. Et face à l’oppression, entre la résistance risquée, la compromission immonde et la fuite ponce-pilatienne, le choix est toujours drastique.
Avec "Dans l’ombre", Susana Lastreto, auteur dramatique, comédienne et metteur en scène d’origine argentine, évoque bien évidemment le "Proceso de Reorganización Nacional" avec une écriture faite de chair et de sang, qui tient de l’invocation et de l’incantation. Un memento mori qui, sous sa plume inspirée, dépasse cet ancrage spatio temporel pour aborder des thématiques essentielles et universelles d’autant que, l’Histoire étant une sempiternelle bégayeuse, les exactions ne connaissent ni trêve ni frontière, et qui se déploie dans une dramaturgie tendue.
Susana Lastreto indiquait, au cours d’une interview, que, pour la première fois, elle n’assurerait pas la mise en scène d’un de ses textes confiant ce soin à Agathe Alexis. Celle-ci a su, par une mise en scène d’une intelligence et d’une précision absolues et d’une efficacité redoutable et captivante, restituer la singularité de la petite musique de cette âme latine qui, du tragique à l’onirique, et bousculer toutes les certitudes.
Dans ce huis clos expressionniste, Michel Ouimet et François Frapier, respectivement le médecin respectueux du pouvoir, perverti par la fascination de la quête du sens et la fidélité obsessionnelle à la "mécanique" de l’ordre, et l’individualiste qui a choisi la plus grande démocratie du monde pour son petit commerce d’import-export, deux qualités ô combien symboliques, qui continuent de montrent un talent extraordinaire de justesse et d'humanité dans cette spirale de l'infâmie.
Symbolique aussi le fait que la résistante soit une femme, Marie Delmarès ayant toute la sensibilité à fleur de larmes pour incarner l’absente dont l’image peuple leurs rêves éveillés et que la figure qui hante la conscience du bourreau en blouse blanche soit féminine.
Dans l’ombre, la lumière.
|