Plongez à l’est dans la chaleur d’une fête tsigane, entre claquements de mains saccadés, cris d’enthousiasme stridents, danses intemporelles, jupes à volants qui font tourner les têtes. Descendez ensuite davantage au sud, en plein désert, sirotez une tasse de thé à la menthe, confortablement installé dans l’intimité d’une tente berbère.
Les notes d’une tabla taquinent votre oreille et vous extirpent doucement de la sensation de plénitude dans laquelle vous commenciez à vous trouver, l’Inde ne serait-elle pas si loin ? Vous achevez de vous réveiller complètement au son d’un étrange chant, qui fait maintenant vibrer dans tout votre être vos lointaines racines celtes.
Vous êtes le cobaye d’une séance d’hypnose ? Pas vraiment, même si le résultat ne semble pas tant aux antipodes de l’expérience. Ce voyage d’une contrée à une autre, c’est Titi Robin qui vous y emmène. Maître ès expérimentations métissées, virtuose du vagabondage musical, ce musicien atypique laisse surtout deviner à travers ses choix artistiques une sensibilité, une affection et un intérêt rare pour l’humain dans toute sa diversité.
Avec un tel appétit des cultures et des traditions, on lui prêterait volontiers des racines aux quatre coins du monde, le genre de gamin qui aurait grandi entre une grand-mère qui ne demandait qu’à pousser la chansonnette à chaque réunion de famille, un papa prodige de l’archet et une maman mélomane. Que nenni ! Titi Robin nous vient plus banalement d’un petit coin de campagne près d’angers, où il a grandi dans la chaleur d’une famille d’ouvriers unie.
Sa rencontre avec la musique, il la doit davantage à ses escapades. Enfant, il avait l’habitude de passer du temps en compagnie de ses voisines, des communautés gitanes et arabes. Thierry Robin se frotte ainsi de bonne heure à leurs coutumes, leurs valeurs, et au cœur de tout cela, à leur musique, qui lui permet de donner un sens à sa vie en lui procurant deux éléments essentiels : l’ouverture aux autres et la connaissance de soi.
Depuis plus de trois décennies que le gadjo sillonne les routes, il a semé nombre de perles musicales qui ont su toucher un véritable public de connaisseurs et de fidèles. C’est encore certainement ce public de convertis qui retrouvera avec délectation la qualité de ses opus précédents avec Anita !, un live regroupant 10 morceaux.
On retrouve sur celui-ci tout ce qui a su conférer au musicien le respect qui auréole son parcours. A commencer par ses talents de multi-instrumentiste : oud, bouzouk, guitare, Titi Robin semble avoir pincé des cordes en même temps qu’il avalait ses premiers biberons. Evoluant de l’un à l’autre, Il parvient à tirer de chacun la plus grande intensité qui soit.
Pour ce concert, il a encore su s’entourer d’invités de marque, des musiciens de sa trempe comme il a la rare chance d’en croiser régulièrement sur son chemin. Après ses complices d’aventures précédentes, le chanteur Erik Marchand, l’accordéoniste Eddy Schaff ou le oudiste Munir Bashir, il sort ici de son sac de baroudeur : Francis Varis à l’accordéon, Pascal Kalou Stalin à la basse, Ze Luis Nacimiento aux percussions. Le chant n’est certes pas l’élément majeur de cet album, mais il n’est jamais de trop et ne fait au contraire qu’ajouter à l’émotion lorsqu’il survient par la voix de Jose Montealegre.
Réunis en trio, quartet ou quintet, c’est selon, ces musiciens donnent au concert toute sa personnalité "du monde", entre traditions indiennes, maghrébines, tsiganes mais en l’inscrivant aussi dans une vraie contemporanéité. Chaque morceau raconte, en ne se conformant surtout pas aux normes de durée imposées par les bandes fm qui laisseraient forcément un goût de trop peu, sa propre histoire, en laissant la part belle à l’improvisation.
Même si on pourrait avouer un penchant plus marqué pour les mélodies plus enjouées, mais, et c’est peut être un peu dommage, plus rares, de cet album, il faut reconnaître que mélancolie et joie y cohabitent en harmonie. Les instruments communiquent sans déséquilibre, via un dialogue au coeur duquel chacun prend le temps d’écouter l’autre avant de laisser s’exprimer à son tour toute la profondeur de son âme.
Preuve en est encore ici que pour Titi Robin, la musique c’est une affaire de tripes. Il vit celle-ci avec son cœur, ou plutôt son cœur vit, et survit sûrement aussi, à travers le besoin absolu de musique : en faisant se succéder des zones claires puis plus obscures, elle semble lui permettre de laisser parler tout le panel de ses émotions, de la plus pessimiste à la plus heureuse.
Et quand, dans le même temps, elle parvient à susciter les nôtres, il serait indécent d’en exiger davantage. |