"Et il eut alors envie, confusément et irrésistiblement,
d'une musique immense, d'une bruit absolu, d'un bel et joyeux vacarme qui embrasserait,
inonderait, étoufferait toute chose, où sombrerait à jamais
la douleur, la vanité, l'insignifiance des mots." - Kundera
in L'insoutenable légèreté de l'être.
Ce n'est pas une petite affaire qu'un concert de Godspeed.
Personnellement on parle ici d'un groupe qui a changé l'an dernier mon
échelle de valeur dans l'appréciation et l'expérience des
concerts.
Le collectif investit le cabaret sauvage pour permettre aux parisiens d'assister
à deux des treize dates de leur tournée française. Au fur
et à mesure des tournées les salles ne cessent de devenir plus
grandes sans pourtant que le frénésie liée à la
recherche des ticket ne se calme.
Gy!be est en effet ce qu'on appelle un groupe culte, une hydre à neuf
têtes qui marque son époque sans être jusqu'à présent
avili par son succès tant leur ligne de conduite restera rigoriste, voire
intégriste selon certains adeptes de la caricature. On peut rapprocher
hâtivement leur musique au Mogwai de la première époque
qui associe passages contemplatifs et déchainements en déflagration
sonique, mais ici en même temps rien à voir : on peut alors évoquer
les chateaux de sable qu'on construit pour les voir disparaitre dans les vagues,
le groupe établissant respectueusement de monumentales cathédrales
pour y mettre joyeusement le feu dès la dernière pierre posée.
On aurait ainsi peut être une petite idée sans vraiment réussir
à gratter la surface de l'entreprise musicale.
Car c'est aussi, et peut être avant tout, un collectif militant qui a
une vision de la musique ambitieuse : anti-commercial non pas comme une pose
ou une étiquette marketing de bon ton dans le rock (ie les popstars qui
lachent un "stop the war" aux Brit awards), mais comme une raison
d'être profonde justifiée par une reflexion en commun qui a mûri
depuis des années dans les bas fonds de mile end à Montréal.
Cette volonté ne prend sur scène la forme d'aucun message à
l'intention du public (il n'y a pas de micro voix de toute façon), tout
le propos du groupe passe par leur musique, et accessoirement par quelques projections
suggestives (selon moi redondante tant la musique de Gdspeed est cinématographique).
Au final un set raisonnablement exceptionnel qui commence sur les arpèges
étouffées de "Tazer floyd", seul titre du dernier
LP à être joué ce soir (il y figure sous le nom "Rockets
fall on rocket falls") qui déchaine une montée progressive
que n'aurait pas renié Pink Floyd, justement, dans sa période
meddle.
Ensuite "Monheim" un des magnifiques titres du "Lift
yr..."(rappelez vous le sample "they don't sleep anymore on the
beach") qui montre que le groupe peut tout en jouant très (très)
fort montrer une sensibilité et une émotion à fleur de
peau. Vient ensuite l'inédite du groupe nommé actuellement sobrement
"Albanian" une nouvelle grande fresque épique avec
un passage sur une gamme orientalisante qui relance sans cesse le morceau de
l'avant dans le chaos.
Sur ce, Dave l'un des guitaristes (responsable des lignes
mélodiques les plus précises) nous casse une corde, le temps de
la changer le groupe en profite pour construite une improvisation tout à
fait convaincante qui prend forme sous nos yeux. Car c'est un des aspects les
plus stupéfiants dans ce groupe, c'est l'écoute entre eux : ils
ont beau être neuf sur scène et être immergés dans
leur musique à la limite de la transe ils se regardent toujours et communiquent
avec un échange gestuel minimaliste implicite qui montre une complicité
totale.
Ainsi quand Efrim tapote sur sa guitare on sait que les possibilités
sont innombrables dépendant de la réception/réaction de
chacun, ce passage sans grandiloquence nous aura ainsi permis de profiter de
ce qui peut se passer quand Gy!be décide d'élaborer un nouveau
morceau ou de chercher l'inspiration : elle vient à la fois de chaque
individu mais surtout de la synergie de tout ce groupe.
Une fois la guitare en nouvel état de marche, l'enchainement se fait
naturellement vers un frénétique "World police and the
friendly fire" malsain et violent (un de mes titres préférés...
comment ça rien à faire!) puis un titre de la même inspiration
"Dead metheny" (providence) où la réponse des
riffs est à son plus haut niveau entre ligne ciselée et insistante
et vagues sonores saturées.
Efrim survolté et en transe, pourtant bien vissé sur sa chaise
et à demi dos au public, traduit le mieux cet élan par les soubresauts
qui agitent tout son corps et en particulier ses jambes dans une sorte de galop
épique et statique. Le rappel (il n'y en aura qu'un! le groupe nous avait
habitué à des concerts de plus de trois heures désormais
on se recentre sur un format plus court, presque standard serait on tenté
d'avouer) est un phénomène miraculeux : l'enchainement des deux
faces du premier EP du groupe "Slow riot for new zero kanada" à
savoir "Moya" et "Blaise bailey finnegan III"
séparés par le sample associé des plus évocateur.
Au final une bonne setlist qui remplit toutes ses promesses, et si le concert
n'atteint pas tout à fait les sommets de leur tournée précédente
(en longueur et peut être aussi en intensité) les concerts des
canadiens restent inratables et au dessus du lot de tout ce que j'ai jamais
vu et c'est dire si cette chronique est en dessous de la réalité
de l'expérience. La tournée en province se poursuit et c'est là
qu'on pourra les voir avec le plus de proximité : les concerts de nombreuses
dates ne sont pas encore complets...
Et pas vi vite! La chronique n'est pas tout à fait terminée.
Devinez la première partie... Hanged'up ! (c'est un
vrai point d'exclamation comme quand on est étonné/content/véhément
et ainsi ne fait pas partie du nom du groupe comme pour... enfin vous voyez
ce que je veux dire... toh!).
Un de mes groupes préférés dur disque qui convainct tout
autant en concert. Le plus hallucinant c'est de découvrir sur scène
qu'il ne sont que deux : Geneviève à l'alto et
Eric à la batterie. La densité des albums est
rendu par l'utilisation par la violoniste d'effets et d'auto-sampling, bien
en vogue de puis quelques temps déjà, et par une batterie inventive,
précise et virevoltante. En effet le batteur a étoffé son
jeu de caisses et de cymbales classiques par des percussions préparées
concrètes (dures et métalliques) et une sorte de pedal steel saturé
sur lequel il s'acharne avec ses baguettes.
Un son riche, des relances au cordeau, des constructions incroyables, un jeu
précis : c'est parfait mais vraiment trop court. Ils ont sortit deux
disques sur Constellation tous deux géniaux.
La seule mauvaise nouvelle c'est que votre liste de disque à se procurer
vient de s'allonger, zut.
|