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Interview  (Paris)  19 mars 2008

Pierre Constant propose, dans le cadre du cycle thématique "Un hiver amoureux" à la Maison de la Poésie, un spectacle atypique qui consiste à porter sur scène un texte quasi mythique de Jean Genet "Le funambule".

Nous avons rencontré Pierre Constant à la bibliothèque de la Maison de la Poésie, entre l'exposition "Le bleu de l'œil" consacré à Jean Genet et la petite salle Lautréamont dans laquelle il officie. Et officier semble le terme approprié pour ce texte qu'il porte avec lui et en lui depuis des années.


Je peux vous poser la question un peu abruptement car vous n'avez plus vingt ans, avez-vous connu Jean Genet ?

Pierre Constant : Je n'ai jamais connu Jean Genet. J'ai essayé pendant 20 ans, mais sans doute pas assez fortement, et je ne l'ai donc jamais rencontré. Mon rapport avec Jean Genet est simplement la découverte de sa littérature quand j'avais une trentaine d'années et, vers 32-33 ans, j'ai découvert "Le funambule" qui a été comme une lumière, une lumière vraiment éblouissante pour moi, à la fois comme texte sur le théâtre, sur la façon de faire le théâtre, de l'aborder, de le réfléchir, et puis, sur la façon de vivre, tout simplement. Sur les deux plans, le travail et la vie personnelle, et depuis ce moment-là, c'est-à-dire quasiment 3 siècles et demie puisque je n'ai plus 20 ans, ce texte est présent et j'essaie de le creuser de plus en plus, et, de plus en plus, je découvre des choses que peut être n'a-t-il pas voulu dire, que je m'invente, mais qui, je crois, sont dans le secret du texte, dans son mystère et dans sa clarté en même temps et j'aurai mis 40 ans à décaper, à polir, à m'éclairer.

Quand vous avez découvert ce texte vous étiez déjà comédien et investi dans le théâtre ?

Pierre Constant : Oui car j'ai commencé à gagner ma vie dans le théâtre à l'âge de 16 ans, à Toulouse où je vivais à cette époque, et où j'ai commencé à la fois à apprendre et à travailler professionnellement.

Vous jouez ce texte de manière récurrente depuis que vous l'avez découvert ?

Pierre Constant : Non, car pendant 20 ans, j'ai vainement essayé de rencontrer Jean Genet et, pendant tout ce temps, il a toujours refusé de me donner les droits pour mettre "Le funambule" à la scène et ce n'est qu'à sa mort en 1988 que j'ai pu le jouer et pour la première fois au Théâtre National de Strasbourg grâce à Jacques Lassalle qui en était le directeur, puis au Théâtre National de Chaillot. J'ai ensuite joué un peu partout en France et à l'étranger où j'ai fait une tournée. Je l'ai joué pratiquement pendant 10 années. Puis, je l'ai laissé reposer, sans l'oublier, pendant 10 années et je l'ai repris l'année dernière.

Ce texte est souvent présenté uniquement comme une ode au vrai funambule qu'était Abdallâh mais c'est aussi, comme vous venez de l'indiquer, un texte sur le théâtre et qui vous a éclairé en tant que comédien. Jean Genet écrivait pour le théâtre mais n'était pas comédien…

Pierre Constant : … il était comédien et martyr comme disait Jean-Paul Sartre avec humour….

…quelle était sa perception du théâtre et comment pouvait-elle être proche de celle du comédien, du moins de votre conception du théâtre et du métier de comédien, puisque lui était un créateur ce que n'est pas le comédien qui est un interprète…

Pierre Constant : …le comédien est un trait d'union, un passeur. Vous parlez d'ode à Abdallâh et effectivement il lui dédie ce texte, cet immense poème d'amour qu'est "Le funambule". Et toute l'œuvre de Genet est avant tout un immense acte d'amour ; même quand il agresse, quand il provoque, c'est un être d'amour. Ce qui n'évite pas qu'on peut être un être d'amour et un être de combat ce qu'il a été pendant une grande partie de sa vie. Ce qui se passe avec Abdallâh, qu'il a aimé, qu'il a formé, non pas au cirque puisque Abdallâh venait du cirque, petit garçon il était déjà au cirque Pinder, mais il l'a conduit au funambulisme, il l'a fait travailler et, quand il lui donne des conseils de funambule, on a l'impression que lui-même possède cet art, ce qu'il appelle un art, en tout cas cette discipline du cirque comme s'il était lui-même funambule car il a compris admirablement comment cela se passait.

Je peux vous dire, dans cette version je ne marche plus sur le fil mais il y a 20 ans je marchais sur le fil et j'avais travaillé pendant des années, et je travaillais tous les jours pour affronter la représentation, qu'au cirque, le funambulisme est la discipline la plus difficile. Quand on voit, du moins pour ceux qui travaillent en hauteur, la liste des morts sous le chapiteau, je ne dis pas maintenant mais dans le passé quand il n'y avait pas de filet, ce sont les funambules, viennent ensuite les trapézistes volants, qui ont payé le plus lourd tribut. C'est un métier très dangereux.

Quand on travaille à 1m50 du sol, comme je le faisais et comme le faisait Abdallâh, on risque la mort en faisant le saut périlleux - ce que je ne faisais pas - mais surtout une chute qui peut être plus ou moins dramatique, comme celle d'Abdallâh qui a chuté deux fois et qui, s'étant brisé les genoux, n'a pu continuer. On risque aussi la merveilleuse chose qui est cette légèreté, cette fragilité incroyable comme une araignée suspendue au bout de son fil et que l'on pense que ça va casser. Quand on est sur le fil, et je ne fais pas de mot, je parle par pratique, par travail, pour avoir sué sang et eau, c'est très difficile.

D'un quart de seconde vous pouvez basculer et faire effondrer l'édifice complet. Il faut être au centre, au centre de soi-même et au centre de l'univers et il faut, et c'est de cela dont parle admirablement Jean Genet, être mort. Il faut être dans un état qui a dépassé la vie et il faut être dans cet état avant d'être sur le fil, autrement on est perdu. Ce ne sont pas des mots, il s'agit d'une autre forme de mort, être mort à soi-même, c'est-à-dire se vider complètement, quitter la vie pour être dans cette zone extraordinaire qui n'est pas qu'une zone extraordinaire du cirque mais aussi de soi-même. Je crois que lui-même disait que, quand il se mettait à écrire, il devait se mettre dans un état de légèreté extrême qui était de cet ordre-là. Je ne l'ai jamais rencontré donc je parle à travers ce que je perçois de lui dans ce qu'il a écrit, et dit, et dans ses propos que certains de ses amis proches m'ont rapporté après sa mort.

Je crois que c'était un homme d'une grande intelligence, d'un grand flair, sans être un intellectuel. Je parle avec prudence mais c'était un homme qui sentait et passait les choses. L'intelligence par l'émotion et par la sensualité, par la perception vivante et pas absolument sèche des choses. Quand il parlait de funambulisme, il tapait au bon endroit de même que, quand il parlait de musique, il tapait sur la note juste. Il faisait partie de ces quelques êtres hors série, hors temps j'allais dire mais non il était bien de son temps, qui avait cette espèce de rayonnement de l'intelligence et cette faculté de compréhension immédiate des êtres, des choses, de la non-authenticité des êtres et où se trouvait la vérité des choses.

Quand vous dites être mort à soi-même pour le funambule est-ce aussi le cas pour le comédien quand il entre sur scène ?

Pierre Constant : Oui, il faudrait. Il y a plusieurs façons de faire du théâtre. Pour moi évidemment oui. Si j'ai choisi ce texte, si j'ai voulu le mettre à la scène, et s'il est quotidiennement là, dans mes pattes, si j'ose dire, c'est qu'il représente pour moi tout ce que je voudrais atteindre, et que je n'atteins jamais évidemment car c'est trop difficile. C'est quelque chose qui court devant moi, qui est au bout de la ligne d'horizon sans l'atteindre. Ne pas arriver, j'allais dire n'est pas grave mais si c'est grave, et le plus important est la marche vers elle, la tentative, l'utopie insaisissable. Un peu comme les grands mythes du théâtre, des personnages comme Don Giovanni que l'on n'atteint jamais et qui ne s'atteignent jamais eux-mêmes.

Et je crois que Jean Genet, dans sa relation au théâtre et dans son propre théâtre, a couru comme il le dit après une image dans une sorte de palais de miroirs où l'image se répercutait et où il était un peu comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. A la fois, il avançait avec délicatesse et il cassait les miroirs sans parvenir à aller où il voulait, c'est-à-dire dans un endroit absolument impossible à atteindre. Dans ses premiers écrits, avant même qu'il ne soit connu en 1943, il écrit à son ami François Saintin qu'il a écrit des scenarii et des pièces qu'il appelle "mon théâtre impossible". Peut-être cela résume-t-il tout.

Et nous, quand nous essayons de l'approcher ou de le mettre sur le théâtre, certains y sont parvenus en partie car même ce qui semblait être réussi absolument ne l'était qu'en partie et de toute façon cela ne satisfaisait jamais Jean Genet, et ça ne pouvait pas le satisfaire puisque c'était impossible. Le théâtre c'est impossible. Nous sommes des papillons qui nous brûlons à cette lumière, pardonnez si l'image est idiote et usée, mais elle est exacte. On se brûle les ailes, du moins le petit bout de plume qu'on a, sans y arriver. Et les plumes repoussent. Notre intérêt est là : s'épuiser pour essayer d'y arriver. Et moi, je m'épuise.

En corollaire à ce spectacle vous avez conçu une petite exposition, qui se tient dans la toute nouvelle galerie de la Maison de la poésie, par laquelle le spectateur passe pour accéder à la salle Lautréamont dans laquelle vous jouez "Le funambule". Cette exposition, intitulée "Le bleu de l'œil", est consacrée à Jean Genet et comporte des photos, des peintures, des documents dont bon nombre vous appartiennent. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Pierre Constant : Je détiens de nombreux documents relatifs à Jean Genet mais ce n'est absolument pas du fétichisme. "Le funambule" comporte de nombreuses déclinaisons sur l'image, le reflet de l'être qui court après son image, ce qui est aussi valable dans la vie. Nous courrons après une image, celle que nous nous faisons, celles que les autres bâtissent de nous. Et ce qui m'a paru intéressant, c'est d'avoir également des images de Jean Genet, qu'il s'agisse de photographies dans des moments un peu "clé" de sa vie et de ses actes, de l'enfance jusqu'à la mort, puisqu'il y a une photo de son tombeau à Larache au Maroc, sur l'océan près de la falaise, ou de portraits, et notamment des premiers portraits.

Il y a un des premiers portraits de Jean Genet, après celui de Jean Cocteau, peint par Jean Marais, qui était un ami pour moi, qui a été fait au Palais Royal quand il venait de rencontrer Cocteau. C'est un document rare qui raconte un moment de l'histoire de l'art, la naissance de Jean Genet à la littérature et au monde de la littérature dans ce creuset du Palais Royal pendant l'Occupation. Sont également présentées cinq portraits de Jean Genet réalisés sur une nappe de restaurant. Quand Genet vient de rencontrer Cocteau en février 1943 à qui il vient lire des extraits de son poème "Le condamné" à mort", ce dernier "fait la gueule" car il trouve ça douteux, un peu gênant. Et le soir, alors qu'ils dînent, semble-t-il, ensemble Cocteau dessine cinq croquis de Genet sur la nappe du restaurant "L'armagnac". C'est un document rare.

J'ai également trouvé d'autres portraits sur ma route et donc je me suis un peu pris au jeu de conserver en sécurité des documents qui sont venus à moi. Je présente également des choses très intéressantes comme les calligraphies d'Hassan Massoudy qui avait vu les premières représentations du Funambule, quand je marchais sur le fil, et il a vu dans le travail sur le fil une métaphore de l'écriture dans l'espace qu'il a ensuite traduit à partir du texte de Jean Genet en calligraphies sublimes de formes et de couleurs.

Les pièces de Jean Genet sont régulièrement portées à la scène. Allez-vous les voir ?

Pierre Constant : Quand je peux bien sûr. Et puis désormais il n'y a pas que ses pièces puisqu'il est passé à l'Opéra avec "Les bonnes, "Le balcon", et récemment "Les nègres" monté à Genève par Stanislas Nordey que je n'ai pu voir mais dont on m'a offert la cassette. J'y vais, bien sûr, pour voir comment évolue la mise en scène de ses pièces. Genet était assez fermé, ses textes comportent des didascalies car il écrivait la mise en scène, et ne voulait pas qu'on s'en écarte quoi qu'il changeait à la fin de sa vie.

Ainsi Victor Garcia avait fait un travail tout à fait décapant sur "Les bonnes" comme Patrice Chéreau sur "Les paravents" que j'ai vu monté par Frédéric Fisbach au Théâtre National de la Colline il y a 2-3 ans qui était extraordinaire car il avait supprimé presque tous les personnages et n'avait gardé que les 3 principaux qu'il surnommait "les vociférateurs" qui racontaient l'histoire avec des marionnettes manipulées par des japonais. C'était formidable car le problème avec le théâtre de Genet c'est le labyrinthe de miroirs, ce refus du réalisme, du quotidien pour trouver une tonalité dans l'imaginaire et dans le rêve mais parlant néanmoins de la vérité des choses.

C'est inextricable, on s'y perd et les marionnettes résolvaient ce problème ce à quoi ne parviennent pas quelquefois les acteurs, et peut être moi le premier avec "Le funambule" dans lequel il faut passer par la cadence du texte, la musique du texte, j'ose dire la perfection, même si on n'y arrive pas, des mots, des consonnes, des voyelles, de la phrase, des paragraphes. Tout est admirablement écrit et construit et, simultanément, il refuse le réalisme, qu'il détestait, pour trouver la transposition et en étant vrai. Ce qui est extrêmement difficile. C'est la raison aussi de la fascination qu'exerce son théâtre sur les gens de théâtre, ce qui n'est pas péjoratif de ma part car je suis aussi un "gens" de théâtre, qui s'y brisent les dents. Mais c'est formidable parce qu'on y gagne. Il nous fait gagner quelque chose, il nous fait progresser !

 

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