Bon, tout commence les pieds dans le sable, à l’endroit même
où l’autochtone s’amuse fièrement à trucider
le bovidé, une arène antique en plein Nîmes, une chouette
salle à vrai dire de taille raisonnable et avec un bon karma. Rendez-vous
de l’été, ce n’est pas pour un festival que l’instinct
grégaire des aficionados de la pop anglaise s’assouvit mais pour
le retour du combo superstar Radiohead.
Il fait encore jour quand la première partie arrive sur scène,
il s’agit des américains de Low. Partons sur un
préalable sur lequel on peut s’entendre comme une évidence
après expérience : il n’y a peu près rien d’aussi
merveilleux qu’un concert de Low, enfin d’habitude… Il y avait
quelque chose d’intimement contre nature de voir le trio évoluer
dans cet environnement, la magie de Low ne pouvant fonctionner que dans un cocon
intimiste dans lequel son propre univers trouve son espace, et inévitablement
les retrouver dans une ambiance de stade devant des milliers de spectateurs
mène d’entrée de jeu au malentendu. La magie n’opère
pas et Alan et ses amis sont obligés de se rabattre sur une interprétation
plus rock de leur répertoire, un set émoussé dans lequel
les morceaux comme "Will the night", "Snow Storm",
"Tonight" ou "Sunflowers" n’atteignent
pas les niveaux qu’on leur connaît habituellement.
Sans doute un caprice de Radiohead qui, si sur le papier était une bonne
idée, au final malheureusement ne l’est pas.
Ce gâchis relatif augure mal de la suite des événements.
Là encore peur du malentendu : Radiohead ayant atteint
un succès commercial rare qui d’ordinaire n’augure rien de
bon, non pas qu’un réflexe snobinard pousse à dédaigner
les succès commerciaux mais bon l’expérience prouve que
ce réflexe n’est pas si mauvais. Ceci pour dire que ce n’est
pas parce que l’on a fait quelques centaines de kilomètres, que
l’on est d’entrée de jeu acquis à leur cause.
Cette appréhension disparaît honnêtement dès le début
du concert. Une première partie de concert dans un cadre rock classique
avec pleins de titres rocks, dit ainsi on peut penser à un show calibré
à la Dandy Warhols, mais non : je croyais que c’était
désormais impossible mais un concert rock classique peut encore être
parfait et magique, et être alors totalement pris par l’émotion
sans prêter attention aux ficelles. Pourtant avec du recul ces ficelles
existent : Thom Yorke étant devenu un performer affirmé
pour cet exercice de style, une attitude loin de la nonchalance habituelle des
formations indés, il met ainsi assez génialement en scène
le morceau "Backdrifts" en courrant sur place pour atteindre
son clavier dans une énergie visuelle communicative.
En gros c’est un show, on est en effet dans un son et lumière
étoffé avec un visuel riche et réussi, le genre de "trucs"
généralement tape-à-l’œil et donc pathétiques
dans leur mise en spectacle et glorification des artistes mais qui ici fonctionne
avec justesse. Donc des tubes rocks, pleins à la suite, ça n’arrête
pas, c’est tout simplement jouissif, notamment "2+2=5"
et "National Anthem" : ahurissant. C’est presque obscène
mais on ne boude pas son plaisir.
Le concert prend ensuite une autre forme moins convenue avec une bravade avec
"kid A" totalement régressif et inattendu sur lequel
le groupe montre qu’il n’a pas peur du ridicule et casse ainsi le
statut d’icône qu’on leur prête. On retiendra ensuite
des nouveaux titres dont certains sont simplement géniaux et balayent
tous les a priori qu’on peut avoir sur la créativité du
groupe, "Where I end and you begin" ou "I will"
font partie de ces réussites rares qui balayent les certitudes.
Au final très peu de passage à vide à part les titres
de la période OK Computer qui fonctionnent
assez mal en live n’étant pas sauvés par la production sophistiquée
du disque, seul "exit music" me fait mentir : la voix de
Thom Yorke emplissant dans un silence irréel toute l’arène…
séquence émotion comme on dit. Si certains vieux titres comme
"fake plastic trees" ou "bones" sont très
réussis, c’est surtout le nouveau visage de Radiohead qui est le
plus passionnant : les titres d’Amnesiac ne
sont pas présentés mais Kid A et Hail
to the Thief sont bien servis et c’est tant mieux.
Au final on regrettera comme toujours quelques absences (cette délicieuse
attente adolescente de la musique populaire d’entendre ses morceaux préférés
être joués : chacun les siens d’ailleurs mais bon "We
suck young blood", "Life in a glass house", "Myxomatosis"
ou "A wolf at the door" auraient certainement achevé
de transcender cette soirée d’exception) mais dans l’ensemble
ce concert réconcilie avec Radiohead et la pop anglaise en général.
C’est trop bête vous auriez dû venir. |