Après l'excellent Rio Baril, on se demandait franchement comment Florent Marchet allait surpasser ce chef d'oeuvre, cette histoire en chansons, attachante, ce concept album dont on ne peut écouter que tous les titres à la suite tant ils forment ensemble l'essence du disque. C'était sous-estimer l'artiste. En duo avec Arnaud Cathrine pour les textes et le chant ainsi que quelques compères dont Valérie Leulliot ou l'inséparable Erik Arnaud, Florent Marchet propose avec Frère Animal un roman musical que l'on peut écouter, lire ou, mieux, lire et écouter.
A peine sortis de Rio Baril, nous y sommes aussitôt replongés. Dans un village jumelé, qui pourrait être dans l'est, ou plus sûrement dans le nord, où siège l'omniprésente Mère Nourricière, l'usine locale qui fait vivre le village et fait travailler ses enfants avant de les recracher.
Cette mère nourricière, c'est l'usine SINOC d'où sortent des objets Culbuto qui ont la particularité de ne jamais se renverser, même en cas de tempête.
Le roman en 19 parties raconte donc la vie, l'histoire de Thibaut et de sa famille face à ce destin tout tracé. Un père fatigué, résigné, et fier de son petit statut dans la famille SINOC, un ami d'enfance fier de sa réussite, un frère qui a réussi en quittant la ville et une fiancée "passée à travers les mailles du filet" rêvant d'art et de Bruxelles, de tout sauf de SINOC. Thibaut se retrouve presque seul contre cette Mère et son épouvantable mari, le cynique responsable de la DRH ayant droit de vie et de mort sur ses enfants. Comme dans Rio Baril, l'histoire débute mal, et finit mal ; pas d'espoir pour ces gens ordinaires.
La combinaison du roman et du cd est une idée originale et la mayonnaise prend aussitôt. Sur les textes pessimistes de Cathrine, ces tranches de vie, Florent Marchet place une bande originale impeccable, alternant interludes musicaux pop, chansons parlées, balades mélancoliques ou de véritables perles rock comme l'excellente "La traduction", single potentiel, même si aucun single ne peut sortir de cette oeuvre tant toutes les chansons sont liées entre elles et indissociables.
"La mère nourricière" présentant la société est du Marchet pur jus, mélange de guitare acoustique et électrique, de cordes, admirablement mixé par un Erik Arnaud dont on remarque une nouvelle fois l'excellence dans son travail avec Marchet. On notera également "La chanson du DRH", magnifique de cynisme ou encore "Le Martinet", aux couplets parlés et aux magnifiques refrains. Un bel hommage à Gainsbourg également pour la "Reconnaissance de Dettes", lentement déclamée sur une rythmique rappelant Melody Nelson, autre projet culte, autre histoire qui finit mal.
Pessimistes, Arnaud Cathrine et Florent Marchet racontent dans cet objet unique le côté sombre de la pauvreté, des villes usines, de la perte de travail, de ceux qui sont condamnés à rester et de ceux qui sont partis (comme pour rapeller le "Tous Ensembles" de Erik Arnaud, déjà sur le même thême il y a quelques années).
De la chanson française mais pas celle qui se la joue jazz manouche ou nouvelle pop, de la chanson qui prend des risques en proposant un format et concept inédit. Des risques mais une réussite totale. |