En avril, Jean-Laurent Cochet proposait à son public fidèle et toujours inassouvi, deux Master Classes au cours desquelles, à plusieurs reprises, il a évoqué, comme toujours, la mémoire des grands comédiens et, comme souvent, la prestation des acteurs contemporains notamment au cinéma.
Le cinéma, thématique incontournable par son trait d'union avec le théâtre qu'est le comédien, s'imposait donc comme sujet d'entretien à part entière.
A peine achevées les représentations de "La Reine morte" au Théâtre 13, Jean-Laurent Cochet nous reçoit, une fois encore, entre deux voyages... et de nouveaux projets.
Vous évoquez souvent dans vos cours publics d'interprétation dramatique non seulement des films mais aussi les prestations des acteurs. Nous avons déjà parlé de cinéma au cours de ces entretiens mais de manière plus ciblée dans le cadre de votre parcours professionnel. Aujourd'hui, je vous propose de l'aborder de manière plus générale au regard notamment de la formation du comédien et de l'opposition classique entre le comédien et l'acteur.
Jean-Laurent Cochet : Je vous reprends tout de suite car il n'y a pas les comédiens ET les acteurs de cinéma. Il y a les comédiens et les acteurs. On a peut être, selon les films, moins besoin, pour faire illusion, d'être un comédien et un acteur adroit peut suffire car on n'est jamais qu'un pion dans le cinéma. Tandis qu'au théâtre, être un acteur, même doué, n'est pas suffisant. On sature. Ce n'est pas une question de théâtre ET de cinéma si ce n'est que dans tous les pays, comme chez nous quand le cinéma est né, pendant quelques années, on ne faisait pas de différence. C'étaient des acteurs et des comédiens de théâtre qui jouaient au cinéma. L'apparition d'une nouvelle technique n'a, et ne doit, rien changer à ce qu'est le métier de comédien, la façon de le penser, de le concevoir et de l'exécuter si ce n'est que l'exécution s'effectue dans des contraintes comme recommencer la scène, faire le lendemain la fin du décor du film…
C'est très amusant, en définitive, de se trouver balancé ainsi et de pouvoir être en situation. Car c'est toujours pareil : on joue une situation, même si ce n'est pas amusant de jouer une situation comme Charles Vanel, dans "Le salaire de la peur", qui se traîne dans la boue et l'essence. Il le faut, mais c'est le cinéma, et ce n'est pas là-dessus que l'on juge un comédien, mais sur les autres scènes, quand il y a des scènes de texte, de jeu, de gros plan, et qu'il peut manifester sa pensée. Sinon il est un objet que l'on jette dans une mare où à l'intérieur d'un bal et on le photographie comme on photographierait n'importe qui.
Il n'y avait donc pas du tout cette distinction : on était comédien, et puis, acteur quand on était un petit peu moins maître de ses moyens et de son imagination. Acteur est toujours un peu restrictif : c'est celui qui montre, qui joue justement, et en rajoutant "regardez comme je joue bien". Il explique, il s'exhibe un peu, souligne les choses, alors que, chez le grand comédien, on ne voit même pas que cela a été travaillé. Parlons comédien et c'est au théâtre, avant tout, en live comme on dit maintenant, et dans la continuité, des grands sujets du travail du comédien : c'est de faire ce qu'on appelle le parcours, de la première à la dernière scène, de jouer l'évolution de la situation du personnage dans une continuité et la progression et en étant en face de gens tous aussi vivants que nous et qui assistent à cette progression par le jeu du comédien.
Cela est déjà important. C'est la raison pour laquelle les très grands, je ne sais pas si cela a été fait en France, je ne crois pas, sauf peut être une fois ou deux par Guitry, parce qu'il a tout fait même au cinéma, mais en Amérique en tous cas, Hitchcock, à plusieurs reprises et avec le fameux plan unique de "La corde" et Stanley Kubrick, dans "La nef des fous", avant de tourner, faisaient travailler aux comédiens le parcours de l'œuvre, la succession des situations dans l'ordre du déroulement de l'action et ensuite ils tournaient chronologiquement. C'était plus facile, quelquefois, quand c'était dans des huis clos, comme les deux exemples que je viens de citer, et de reprendre ensuite au montage.
Mais c'est de travailler dans la continuité pour qu'ils puissent passer d'un sentiment à un autre sans sauter de la joie du début à la mort de la fin, ce qui peut être amusant car nous faisons ce qu'on nous demande et c'est à nous d'être immédiatement en situation. Monsieur Rollan disait "on est à la fois la bûche et le feu". Il y a le feu, on met la bûche et il faut bouger et ressembler au personnage. On qualifie le cinéma d'art mais pour moi, même techniquement, sans être cinéphile, ce n'en est pas un. On était un homme quand on était sur son cheval on n'est plus tout à fait un homme quand on conduit une voiture à 300 km/h. C'est la machine à ce moment-là et non la fusion entre deux éléments vivants. Le cinéma dépend avant de celui qui est le metteur en scène, le cadreur, le preneur de son, parce qu'on est entre leurs mains.
Pour ma part, j'ai peu fait de cinéma - c'est sans doute parce que je ne le désirai pas follement que ce désir n'a pas excité les autres pour m'en faire faire - le cinéma c'est l'école de la patience et surtout de l’endormissement car l'attente est longue entre les prises. Même quand on est une star qui dispose d'un salon particulier on "glande" pendant des heures entre les mains de maquilleuses, on doit reprendre la scène parce que le son n'était pas bon. Je n'arrive pas à considérer cela comme mon métier.
La preuve, et là ne je parle pas de moi, j'en ai d'ailleurs parlé lors du dernier cours, à propos d'un élève qui est élève et qui sera comédien, de même que Al Pacino a été un bébé de 3 ans et dont maintenant, par la publicité, on connaît le nom. Cet élève fait sur un plateau ce que sur un plateau Al Pacino ne pourrait pas faire. On ne peut pas juger les gens uniquement sur le cinéma. Il faut être photogénique mais on peut être très bien au cinéma et pas très bien sur un plateau. Si on l'est, c'est, qu'en dépit de la soumission à la technique, on est quelqu'un d'intelligent qui a de l'imagination, de l'invention et de la sensibilité.
Mais on ne peut pas juger totalement quelqu'un là-dessus. Ou alors il faut avoir, comme moi dont c'est le métier, ce discernement qui fait défaut à tellement de gens. Je vois bien certains bons acteurs dans les films, qu'il s'agisse de petits ou de grands rôles, dans les films anglais, américains ou français, mais je ne sais pas exactement, s'il fallait les utiliser au théâtre, selon les rôles, s'ils seraient forcément formidables dans tel ou tel rôle. Comme Marion Cotillard qui est géniale dans "La môme", mais il est vrai que c'est si particulier cette aventure où tout est réussi mis à part un acteur.
On peut donc difficilement opposer le cinéma et le théâtre. A mon avis je crois que cela peut se résumer ainsi : si on est un bon comédien au théâtre, c'est difficile de ne pas être un bon comédien à l'écran. Si on est un bon acteur au cinéma, on peut rester un acteur valable au théâtre mais peut être pas un comédien. Il ne s'agit pas de deux métiers différents, car on demande la même chose à l'interprète, qui est de traduire une situation donnée à un moment donné en fonction d'un caractère.
J'adore aller au cinéma sans doute parce qu'il n'y a quasiment plus rien à voir au théâtre. Pour le cinéma il y a de très bons films produits tant par l'Angleterre que par l'Amérique ou d'autres pays. Cela me distrait mais cela me passionne rarement car je sais que ce n'est pas vrai. Alors que, l'extraordinaire au théâtre, c'est ce que je sais que cela n'est pas vrai et pourtant j'y suis. Le sujet a été traité de manière intelligente, à la Pirandello, et géniale, comme tout ce qu'il fait, par Woody Allen dans "La rose pourpre du Caire" où il fait éclater les limites. On peut faire intervenir des notions théâtrales au cinéma mais des notions cinématographiques au théâtre ce ne sont jamais que des plans que l'on met derrière le texte. Un vrai auteur n'a pas besoin de ces ajouts ou de ces apports.
Certains de vos élèves viennent-ils avec le projet déterminé de faire du cinéma ?
Jean-Laurent Cochet : Non. Chez moi ils ne le disent pas car il se doutent de la manière dont ils seraient reçus. Si tel était cependant le cas, je leur dirai "Apprends déjà ton métier et tu verras si tu le fais. Et si tu le fais au cinéma, au théâtre, ou à la synchro". On apprend un métier. C'est comme si on disait "Je veux apprendre le piano mais uniquement pour jouer du jazz". Cela ne veut rien dire. Le cinéma les allume peut être davantage, en raison de la publicité qui s'y attache même si on n'est pas bien, mais c'est le miroir aux alouettes.
Au cinéma avez-vous des périodes ou des réalisateurs de prédilection ?
Jean-Laurent Cochet : Bien sûr, il y a des périodes qui correspondent au temps qui nous entraîne avec des événements politiques ou économiques qui influencent le cinéma. Je vais parler du théâtre d'abord, avant de revenir au cinéma qui n'existait pas. Il y a eu une succession d'auteurs qui, au gré du temps, nous révélaient des style de pensées et d'écritures un peu différents mais traitaient des même sujets avec, quelquefois, en arrière-plan, des éléments historiques mais le sujet était toujours comme disait Lope de Vega, et Robert Brasillach après lui, "le théâtre c'est un plateau, deux personnages et une passion". La passion, pas forcément amoureuse, et des sentiments humains. Le cinéma a d'abord été, et Dieu sait qu'on l'a assez reproché à Guitry, qui avait tellement de génie, que même en ne faisant que filmer ses pièces c'était déjà du cinéma, et il en inventait une grande partie, ce qu'on appelle du théâtre filmé, et ce, plus ou moins intelligemment. Il ne s'agit pas de mettre la caméra devant le plateau et d'enregistrer car ce sont alors des archives.
Mais si le metteur en scène, en accord avec le scénariste et le dialoguiste, a du talent… regardez les films de Marcel Carné qui sont de lui pour une centième petite partie. Arletty m’a souvent dit qu’ils sont en fait de Spaak, de Prévert ou de Jeanson. Mais peu importe une fois que le film est terminé. Il faut des sentiments humains et raconter des histoires et pas seulement des histoires au ras des pâquerettes ou de science-fiction. Ca c'est pour les gens qui sont tellement vides qu'ils ont besoin, pour arriver enfin à se divertir, qu'on leur dise "vous êtes sur la lune" et ils s'y ennuient très vite comme ils s'ennuient à l'intérieur d'eux-mêmes.
Mais il y a toujours eu des périodes comme l'expressionnisme allemand, le cinéma russe, le néo-réalisme italien. Les grands metteurs en scène ont commencé à tourner leurs films en noir et blanc dans le courant néo-réaliste comme l'immense Visconti qui pouvait aussi faire des films comme "Le guépard" et "Senso".
Il y a parfois des modes à travers les manques des réalisateurs. Vittorio de Sica a toujours mis de la poésie dans ses films, de "Miracle à Milan" pour mener à tous ses autres films pour arriver à "Le jardin des Finzi Contini". Il y a eu des périodes, effectivement, mais surtout des hommes de talent ou de génie et il faut toujours revenir à l'individu, au créateur ou au re-créateur. Car, parfois, des périodes, il ne reste rien car cela n'a été qu'une mode. Et cela vient surtout de l'impulsion de l'essor que donnent deux ou trois grands hommes. Pour en rester au cinéma italien après Visconti, Risi et Zefirelli, qui s'est étiolé, il n'y a plus eu de cinéma italien.
Mais, avant tout, et il faut bien le dire, et c'est ce qui est amusant, et surtout en France, j'allais au cinéma surtout, et pour cause, et je l'ai rappelé tout à l'heure, pour voir des artistes et si c'était un bon film, comme "Les enfants du paradis", tant mieux. Si c'était un affreux nanar, et bien, tant pis, mais je m'empresse néanmoins de retourner le voir à la cinémathèque pour les gens qui l'interprètent et qui jouent des situations. C'est encore du théâtre avec la particularité d'avoir des décors naturels, et pas toujours d'ailleurs. Il y a des films considérables, comme "Le jour se lève", qui ont été tournés dans des décors intégralement reconstitués en studio. Ou bien cela donne l'apparence de la réalité, ou cela ajoute une dimension particulière, comme les décors d'"Orphée" de Cocteau.
En définitive, et je m'en rends compte en vous en parlant, que, si on parle du film "Le cabinet du docteur Caligari", on évoque la fameuse époque de l'expressionnisme allemand mais il y a eu un premier film qui, ensuite, a été imité, et puis un autre, aussi bien, sinon meilleur, que le premier, et cela les situe dans une époque. Mais, comme pour les modes féminines, il y a des prédominances. Il n'y aurait sans doute pas la mode de l'époque Chanel s'il n'y avait pas eu Chanel. Et avant c'était Doucet car c'était le plus grand dessinateur, l'homme de goût. Cela vient des créateurs avec, bien sûr, ceux qui savent se servir de ceux qui les entourent et la volonté de surprendre le public dans le sens de ses goûts.
Un film ne subsiste pas en général, s'il est tourné abominablement, comme on le fait maintenant avec une bêtise confondante, à la suite de la période de la nouvelle vague, qui a été une abomination de fausses trouvailles, de prétention, de bêtise et d'ennui, et quand on les revoit, ils sont plus démodés que les films d'Eisenstein. A part un ou deux films qui demeurent grâce à un interprète. Je pense vraiment que cela tient aux individus et, à n'importe quelle époque, on aurait découvert le génie de Visconti et ignoré l'ennuyeux Chabrol qui n'a d'ailleurs pas été le pire des pires mais était dépourvu de vision personnelle. Maintenant c'est la chienlit. Il y a encore, de temps en temps, des films à la française qui procurent de belles surprises. Cette saison, j'ai vu "La môme" de Olivier Dahan mais aussi "La maison" de Manuel Poirier, que je souhaiterai rencontrer, et "Le fils de l'épicier" de Eric Guirado.
Avez-vous distingué au cinéma des comédiens qui officient pratiquement jamais sur scène ?
Jean-Laurent Cochet : La réponse est difficile car on peut aussi bien citer 50 noms que dire "je ne vois pas du tout". Je pense à ceux que j'ai vus récemment et qui ne sont pas des films récents mais que je n'avais pas eu l'opportunité de voir à leur sortie, et que je peux visionner aujourd'hui depuis qu'on m'a offert un lecteur-dvd portatif. J'ai découvert Gabriel Aghion, que j'aurai très envie de connaître, et j'aurai même très envie de travailler avec lui. Je sais qu'il prépare une Manon, et s’il me trouverait un petit truc là dedans, cela me réjouirait bien, car on sent dans les films ,comme dans les manuscrits de théâtre même si la pièce est plus ou moins réussie, qu'il y a quelqu'un derrière. On sent non seulement un auteur occasionnel mais un homme, on sent la chair. Je l'ai senti chez lui et dans des films qui étaient hérissés de pièges comme "Belle maman" et "Pédale douce".
J'y ai vu un comédien, Jacques Gamblin, qui pourrait dire bien une fable de La Fontaine. Un homme qui a un beau physique et un bel emploi ; il a de la malice, de l'humour et une façon de jouer au cinéma très sobre, comme il faut être, mais en même temps très - je ne dirai pas théâtral- mais très intense. Il a une écoute et un jeu très dense. J'ai aussi découvert à cette occasion cette femme charmante, qui ne m'avait jamais accroché au-delà de la beauté, de l'image, de la grâce, qui me paraissait soumise et passive, du moins dans les films que j'ai vus, et, de manière tout à fait inattendue, dans "Belle maman", je me suis dit tout à coup que j'avais envie de la distribuer dans du Marivaux. C'est Catherine Deneuve.
Gabriel Aghion se montre un merveilleux directeur d'acteur. Et c'est ce qu'il ne faut jamais oublier. Des gens bien peuvent ne pas être bons au cinéma si on les laisse faire ce qu'il ne faudrait pas faire. Ce dont a toujours manqué le cinéma français, à part Tati, Grémillon, Cocteau et Guitry, et une dizaine d'autres, et ce qu'il y a en Suède, en Angleterre et dans la plupart des autres pays, c'est des directeurs d'acteur. Dans ce même film, Line Renaud, qui est une bonne actrice, montre qu'elle est une comédienne. On l'a vue au théâtre, parfois mal dirigée, mais, quelquefois, très remarquable. C'est une femme que j'adore.
Et maintenant je me dis, car le grand critère ce n'est pas de pouvoir jouer ce que d'autres auraient pu faire, comme "Les fugueuses" avec Muriel Robin, qui a des qualités d'ailleurs. Quand je vois Line Renaud jouer comme ça, je la vois dans des emplois classiques très importants. Peut être pas la tragédie mais dans des rôles d'une grande intensité. Toujours dans ce film, il y a Richard Berry, qui est un immense comédien et qui a été bien dirigé, comme Michèle Laroque ; mais ils ont tous deux commencé par le théâtre, ce sont des gens de métier.
La fusion doit donc être possible. Tout dépend ensuite de la manière où ils, ou leur agent, dirigent leur carrière. J'ai, et c'est un don qu'on m'a donné, donc je ne vois pas pourquoi je ne m'en targuerai pas, cette vertu première du discernement que j'ai eu très jeune. Ce n'est pas la critique car la critique n'existe pas, quand je pense qu'on en a fait un métier - est-ce qu'on fait un métier sur le dos des autres, même pour en dire du bien - ce n'est pas non plus de l'appréciation subjective, il y a des gens qui disent "moi j'aime ça" ou "je n'aime pas ça", bon très bien mais qu'ils se le racontent dans leur chambre à coucher, et n’ont la connaissance.
Ce qui compte, c'est de pouvoir dire, à la première vision d'une pièce qu'on ne connaît pas, voilà pourquoi ça passe comme ça et voilà ce qui n'aurait pas dû être fait comme ça. J'écoute la pièce, je vois le comédien et là je sais qu'on ne lui a pas demandé ce qu'il aurait fallu par rapport au texte, le décor ne correspond pas à ce que je suis en train d'entendre et à ce que le comédien dit, bien ou mal. Tout ça c'est le metteur en scène. Ce ne sont pas les fumigènes, toutes les inventions "à la con", c'est le chef d'orchestre. Il connaît son métier et, par conséquent, celui des chanteurs, celui de tous les musiciens, et un grand chef d'orchestre pourrait bien mettre en scène, assisté d'un décorateur, un opéra qu'il sait diriger. Le metteur en scène est primordial au cinéma. Au théâtre également, bien sûr. Mais essentiellement au cinéma où il faut aider les interprètes.
Dans le film "Pédale douce", il y avait aussi une révélation : Patrick Timsit que je n'ai pas vu au théâtre et qui est exceptionnel. Il pourrait le jouer ainsi au théâtre. Il est, tout à coup, d'une sobriété, d'une intelligence dans le regard, dans la qualité d'écoute. Et cela me transporte de pouvoir changer d'opinion sur quelqu'un que j'ai vu dans des œuvres plus ou moins triviales ou des rigolades à la télévision. J'espère qu'il ira plutôt dans ce sens là. Mais ce n'est pas toujours possible car ce ne n'est pas toujours ce que les gens produisent et que le public, à force d'être abêti, désire. Quoique le public ne sait pas toujours exactement ce qu'il désire. Une fois l'œuvre faite, il y va ou pas et le succès populaire n'est pas un critère de qualité.
Ce n'est pas parce qu'on a fait 17 millions d'entrée avec "Bienvenue chez les ch'tis "que le film est bon, il est peut-être charmant d'ailleurs, et ce n'est pas parce que le film n'a pas marché qu'il est mauvais comme "Le voleur de bicyclette" de Vittorio de Sica qui n'a pas marché à sa sortie. Et ce, pour différentes raisons, bonnes ou mauvaises, avec le snobisme au milieu, ne parlons pas de l'argent, ça a toujours existé, ou de la politique, moins auparavant même s'il y a toujours eu des réseaux. En tout cas, en ce moment, on ne pourra pas me faire dire qu'il y a un cinéma français, et ce, depuis un bon moment. Il y a quelques gens de qualité, des cas isolés.
Aux Master Classes, vous évoquez souvent le cinéma américain comme une référence.
Jean-Laurent Cochet : Oui à cause de son professionnalisme. Avant tout, et c'est délicat car il faut parler des choses non seulement avec modération mais en trouvant un équilibre, car il y a peut-être des horreurs qu'ils ne nous montrent pas, même mais ceux-là, je le suppose, doivent être professionnels. Car le cinéma est là-bas une industrie qui met en jeu trop d'argent
En Amérique, comme en Angleterre, quand une pièce est montée, même avec une énorme vedette, elle est rodée dans 3-4 villes de province et, si la réception n'est pas bonne, elle n'est pas présentée à New York. Ils ne prennent pas de risque et c'est du grand professionnalisme. Et puis ils ont des règles, des lois du métier, ils apprennent leur métier. A leur manière parce qu'ils sont américains et qu'ils ont Strasberg. Et que cela est très bien pour le cinéma et le théâtre américain. Pas forcément pour jouer chez nous, même si en définitive les règles se retrouvent. Ils sont plus primaires, c'est un peuple que j'adore mais ce n'est pas le comble de l'intelligence, sauf chez certains individus, et ils ont d'autres qualités.
Vous allez voir n'importe quel film américain, même ceux dont vous avez envie de dire qu'il s'agit d'un navet, c'est bien filmé, c'est bien fait tant pour le montage, le découpage, que le choix des acteurs. On ne sait pas si la dame est la petite amie du metteur en scène ou si le monsieur est le petit copain de la réalisatrice mais, tout copain ou tout ami qu'ils soient, ils ont du talent et ils représentent ce personnage. Au cinéma, il est très rare de voir des comédiens même des acteurs pas bons. Et il y en a toujours de nouveaux.
Alors, naturellement, je ne dirai pas qu'ils jouent tous de la même manière mais le professionnalisme impose des règles dont ils sont un peu prisonniers, de la manière de faire de l'Actors Studio mais comme on était prisonnier, dans les années 30, de la profération emphatique des vers de Racine. On pose toujours la question imbécile "Vous croyez que si Sarah Bernhardt, venait jouer maintenant elle serait bien ?" C'est inimaginable de poser des questions aussi sottes. On est toujours supérieur à son temps. Heureusement.
La preuve quand je veux faire un compliment dans ma tête, ou oralement, à un élève ou à un comédien français, immédiatement, je me dis voilà il faut devenir, comme je l'ai dit l'autre soir au cours pour le petit Paul, Al Pacino. Si on peut imaginer, et c'est difficile, qu'en France il y aurait un bon metteur en scène qui saurait choisir ses comédiens là où il faut, et pas sur les Champs Elysées, ou dans des endroits insensés. Si les metteurs en scène s'intéressaient aux comédiens. Mais parce qu'ils ne les aiment pas vraiment, ils cherchent des noms sur l'affiche qu'ils entourent des derniers qui ont envoyé leur photo. Ils n'ont aucune imagination, aucune connaissance des comédiens, pour la plupart d'entre eux, ce qui est insensé.
Sauf Monsieur Olivier Dahan, le réalisateur de "La môme". Il a vu les comédiens, il les connaît, c'est certain, et dans plusieurs pièces pour pouvoir savoir qu'Emmanuelle Seigner pourrait jouer un rôle comme celui-là, se souvenir de Catherine Allégret, de choisir des jeunes comme Sylvie Testud pour des rôles dans lesquels ils peuvent être les meilleurs, et Depardieu, quelle chance qu'il ait accepté un rôle secondaire où il se renouvelle lui-même et évoque un personnage extraordinaire.
En France, c'est rare. Alors qu'en Amérique, dans chaque nouveau film qu'on voit, on se dit qu'a été distribué dans ce rôle Tom Cruise pas seulement parce qu'il s'appelle Tom Cruise mais parce que c'était exactement le personnage. Sinon, on aurait pris Brad Pitt ou Harrison Ford. Ils sont merveilleusement distribués. Quelques fois, ils vont jusqu'à leur faire jouer des contre emplois comme dans le dernier film de Robert Redford, "Lions et agneaux", cette merveille, avec Meryl Streep, Tom Cruise, justement, et lui-même. Et il y a un nouveau venu qui parait 17 ans qui a été distribué parce qu'il est prêt à jouer non seulement ce rôle mais à jouer tout court.
Quand on a découvert le génial Peter O'Toole dans "Lawrence d'Arabie" il avait 30 ans et avait déjà joué à l’Old Vic tous les grands personnages de Shakespeare à commencer par Shylock. Chez eux c'est un même métier. Regardez la différence entre la mascarade et les sauteries ridicules des Molière et des César et ce que représente une soirée des Oscar. C'est un prodigieux spectacle et on n'y voit jamais "nominés" comme on ne dit plus maintenant, des gens qu'on a été chercher en province parce que cela faisait bien de dire "j'ai vu dans un centre d'Aix en province un monsieur…" et ça devient Caubère ou pire.
On mélange tout chez nous et ce n'est pas la peine d'être autant politisé pour qu'il n'y ait aucune politique culturelle mais parce qu n'y a pas non plus de sens artistique… ah oui, les américains. Je vais voir tous les films américains donc d'un film à l'autre on peut voir parfois qu’un acteur est moins bon dans un film mais, même Garbo, qui avait du génie, est dans un ou deux films moins rarissime. C’est vrai chez les très grands, comme Harry Baur, car on n’est pas toujours au sommet de soi-même. Les américains sont nos maîtres en ce moment. En revanche, ces acteurs ne jouent quasiment pas au théâtre.
Mais il y a de très grands comédiens au théâtre qu’on ne connaît pas plus là-bas que chez nous car ils ne font pas de cinéma. De tous temps, il y a toujours eu des gens comme Jean-Pierre Aumont, c’est dommage de le citer car c’était un homme tellement charmant et plein de qualités, dont on parlait car il était jeune premier alors que, dans la distribution du film, il y avait une huitaine de personnes qui étaient des très rares comédiens comme Harry Max ou ceux qui jouaient dans les films de Guitry et pas seulement dans ses films. Mais il y avait toujours une jeune première, comme Annabella qui était nulle. Dans "Hôtel du Nord" c’étaient eux, Jean-Pierre Aumont et Annabella qui étaient en haut du titre, et il est étonnant de penser ça, et puis il y avait Monsieur Jouvet, Madame Arletty, Monsieur André Brunot, Madame Paulette Dubosc, Madame Raymone, et, c’est par ces gens-là que les films subsistent.
Tous les gens de la Comédie Française qui étaient capables de parler un texte, et pas seulement de grandiloquer, comme Louis Seigner, Jean Debucourt, Maurice Escande ou Aimé Clariond, se retrouvent dans tous les films. Voilà les grands comédiens et on n’hésitait pas à les utiliser. Aujourd’hui on fait tourner n’importe qui avec en arrière-plan le sexe, les maçons,les gay, la gauche, …Cela a existé de tous temps mais auparavant on essayait quand même que, si j’ose dire, le produit soit de qualité.
Le temps passe et il nous reste trois minutes pour le scoop….
A la sortie de votre dernier cours public certains vous demandaient si - à l’issue des représentations de "La Reine morte" avec laquelle vous avez enchaîné au Théâtre 14 après six mois de représentations de "Aux deux colombes" au Théâtre Pépinière-Opéra - si vous n’alliez pas vous ennuyer. Quelques mots sur vos projets…
Jean-Laurent Cochet : Vous savez bien que quand je ne fais rien, et surtout à ce moment-là, je ne m’ennuie pas car je pense encore davantage. Autrement dit, je ne m’ennuie pas avec moi, et puis, je ne suis pas toujours seul avec moi. Nous allons rejouer "La Reine morte" en Vendée où la pluie avait interrompu la représentation l’année dernière. Ce sera à La Roche sur Yon le 6 mai 2008. Je vais rester quelques jours en Vendée, justement, pour travailler avec mes élèves de Vendée, qui sont très fervents et très doués, dont certains sont venus à Paris et figurent déjà parmi les meilleurs du cours de Paris, sur leur spectacle de fin de saison avec un montage de scène qui se déroulera le 18 mai 2008.
Et je prépare, pour dans un mois, à Paris, au Théâtre Tristan Bernard - ça a été signé hier donc je peux l’annoncer - un spectacle à 19h avec Pierre Delavène, un spectacle intitulé "Correspondance inattendue " de Sacha Guitry à partir d’un texte complètement inconnu, que même les héritiers de Guitry ne connaissent pas, qui n’est pas du théâtre, mais les "Correspondances de Paul Roulier-Davenel" qui avaient été éditées à une centaine d’exemplaires. Sacha Guitry a inventé un personnage qui serait l’ami de son père, très érotique et auteur dramatique, et il a donc conçu une correspondance imaginaire qui lui permet de narrer des choses irréristibles sur la critique et les grands de son temps, Nous commencerons le 27 mai. Et puis tout cela sera émaillé de nombreuses représentations de mon spectacle "Carte blanche" et je vais rejouer "Les fausses confidences" de Marivaux dans un grand gala dans un château en Suisse.
Si bien qu’en ce moment, les deux premiers jours que je vais passer en Vendée, où je n’aurai à faire que ce que je n’ai pas déjà fait, j’emporte six choses avec moi dont la "Correspondance inattendue" et "Le bourgeois gentilhomme" de Molière dont je donnerai une scène à l’occasion du gala de son cinquantenaire de Jacques Mougenot. Et puis ensuite j'enchaînerai avec la tournée de "Aux deux colombes". Voilà mon calendrier jusqu’en 2010 !