« Nom de Dieu ! A quoi peut bien servir un disque pareil? »
Voilà bien la méchante question qui nous a envahi l’esprit au moment d’écouter la compilation Air France concoctée par le label Village Vert, et gracieusement offerte sur les vols en business et première classe (que les prolos et classe éco se rassurent : ils pourront toujours télécharger l’objet sur iTunes).
S’agit-il d’accompagner un vol avec une musique adéquate, reposante et atmosphérique ? Ou bien de faire découvrir aux gentils privilégiés quelques artistes branchés qui leur auraient malencontreusement échappés ?
L’ouverture du disque, resservant le beau morceau des Chemical Brothers (featuring Hope Sandoval) déjà employé pour une pub de l’avionneur, nous met sur la voie : la tendance affichée ici est au cocooning classieux, et le tracklisting ne déviera pas d’une ligne se situant entre le folk éthéré d’un Mazzy Star et du trip hop un peu light… Ambiances fin 90’s, donc, avec claviers ouatés et boîtes à rythmes douillettes pour permettre un confort d’écoute "lounge", le fauteuil en position bien allongée, tandis qu’une hôtesse au sourire ultra-bright viendrait nous proposer une boisson hors de prix d’une voix trop cajoleuse pour être honnête.
A priori, l’impression globale est donc à l’engourdissement progressif des sens. Non que les titres proposés soient mauvais en soi (il y en a même d’excellents). Mais une telle succession de tempos lents et de climats aseptisés peut finir par provoquer un relatif ennui.
Malgré cela, l’honnêteté nous pousse à relever quand même les points forts du disque : outre le morceau précité ("Asleep From Day"), citons l’excellent "Bullets" de Tunng, ou "Wild Roses" de l’omniprésente Hope Sandoval (la voix de Mazzy Star, donc), faisant tous montre d’un sens mélodique évident allié à une production très soignée.
Surtout, comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, le label Village Vert a inclus deux titres interprétés par l’une des vedettes de son écurie : Kelly De Martino, responsable il y a 4 ans d’un très beau premier album (Radar), et qui vient par ailleurs de publier le suivant, Honest, un peu moins réussi (car lorgnant un peu trop sur Mazzy Star, justement).
Quoi qu’il en soit : la demoiselle se taille ici la part du lion et signe les deux morceaux les plus envoûtants. En premier lieu le bien nommé "7 am" (inédit interprété avec le groupe The Shoes), évocation spleenesque d’un voyage aérien contemplatif. Et un extrait de son dernier album, le merveilleux "Long, Long, Long" (blague facile : c’est un peu le sentiment que l’on a à la fin du CD, tellement cotonneux qu’il paraît durer 3 plombes). Ce morceau de roi, peut-être le plus profond et émouvant du disque… est en fait une reprise d’un titre peu connu des Beatles, signé par George Harrison sur le mythique Double Blanc. Ironie du sort : la meilleure chanson de cette compilation de musiciens actuels s’avère donc être un rogaton du plus grand groupe du monde, morceau qui ne payait guère de mine au milieu de tous les chefs d’œuvre d’époque ("While my guitar gently weeps", "I’m so tired", "Helter Skelter", "Revolution", "Back in the USSR", etc.), mais qui réussit ici à éclipser presque toute la concurrence.
Moralité : c’est encore dans les vieux pots qu’on fait la meilleure soupe (ma bonne dame). On a l’époque et les artistes qu’on mérite.
|