Texte
et mise en scène de Joël Pommerat, avec Saadia Bentaïeb,
Agnès Berthon, Hervé Blanc, Gilbert Beugniot,
Lionel Codino, Eric Forterre, Ruth Olaizola, Jean-Claude Perrin
et Marie Piemontese.
C’est dans un cabaret que quelques individus, étranges
et troublants, viennent se livrer, sous la direction d’un
maître de cérémonie aux allures de prestidigitateur.
À la minute où le spectacle commence le ton
est donné : le présentateur, ultra charismatique
et chic annonce qu’il mourra avant la fin de la représentation.
La tension est alors presque palpable. Ce moment nous annonce
la mort, une fatalité qui sera présente tout au
long de la pièce. Une mort étrangement pleine
rage, une rage d’envie, de désir et finalement
de vie.
Joël Pommerat redonne le premier épisode de "Je
tremble" et poursuit l’œuvre avec "Je tremble
2" où l’on suit le parcours d’un personnage
principal, évolue à ses côtés, sur
son chemin semé d’embûches.
"Le sens de la vie vous a échappé jusqu’à
ce jour, le monde qui vous entoure apparaît plutôt
confus (…) Vous voyez l’avenir de façon incertaine
? La politique vous intéresse et pourtant vous ne la
comprenez pas toujours (…) Alors écoutez bien ce
qui va suivre est pour vous".
Le spectacle balaye le monde qui nous entoure à travers
des tranches de vies, sous forme de saynètes. Les personnages
sont plus lugubres les uns que les autres. Il y a d’abord
la "jeune femme au T-shirt" qui explique le calvaire
de sa mère, devenue ouvrière par conviction et
abîmée après plusieurs accidents de travail.
Ensuite arrive une femme dépressive, anorexique et défoncée,
peut-être même malade. Elle cherche un peu de réconfort
auprès de sa famille. "L’homme qui n’existait
pas" rencontrera "l’homme le plus riche du monde",
et recevra en cadeau un fusil chargé… dramatique.
Tueur d’enfant, femme tronçonnée, battue.
Ces sombres tableaux se suivent comme des flashs sur du Beethoven,
du Sinatra ou encore du Sinead O’Connor.
Dans la deuxième partie, l’infamie des invités
qui s’entretuent ou du corrupteur qui triomphe à
son procès est effacé par une scène d’amour
avec une sirène et l’apparition d’un clown.
Les impressions et sentiments se mélangent, tourbillonnent.
On nous offre des images, puis du noir et encore des images
pour finalement nous conduire à la folie. Complètement
déroutant. Sur scène, le rideau pailleté
tantôt rouge, argent, bleu ou rose contraste avec la noirceur
des discours.
Joël Pommerat exploite ici tous les genres scéniques
: le music hall, le cabaret, le récital la danse et propose
un spectacle poétique. Il utilise la musique, la lumière
et la vidéo pour créer des atmosphères,
sa spécialité. Il se joue des confidences des
personnages mutilés et torturés par la vie pour
toucher les failles, ouvrir les blessures humaines et aborder
le lien social, le genre humain dans son ensemble. Il conduit
à penser et à douter à travers ces morceaux
de destin qui, au premier abord, nous semblent lointains.
Pourtant ils nous sont si proches. Ces existences, les leurs
et les nôtres, se posent dans le fond les mêmes
questions, connaissent les même obstacles. Il fait de
la scène un lieu d’interrogations sur les sentiments,
les liens sociaux et la politique.
Les comédiens n’interprètent pas, ils vivent
les personnages dans les gestes, les regards. Leur corps tout
entier éprouve les textes et offre une infinie présence.
Grâce à eux, ces tranches de vies, aussi belles
que misérables, prennent force et bouleversent.
Drôle, émouvant et effrayant à la fois,
"Je tremble" ne laisse pas insensible. Joël Pommerat
offre une création au terme de laquelle il est impossible
de sortir indemne. Pendant deux heures, le temps se suspend
et se glace. Mais finalement, comme le conclut le maître
de cérémonie, "tout est question d’interprétation".
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