En juin 2006, Fat Cat Records publiait l'un des albums les plus improbables que l'on puisse imaginer : Tooth and Claw, premier effort du trio étatsunien Our Brother the native, qui relevait autant du collage que du bricolage, de la cuisine et de la chirurgie militaire, bouchère, grossière, vitale. Composé par emails, par adjonctions successives de pistes par des musiciens de dix huit ans environs qui ne s'étaient pas tous rencontrés, la galette avait l'indiscutable mérite de ne pas rebattre les sentiers peu recommandables du déjà battu, rebattu et trop entendu ; elle laissait également à la bouche la question de l'avenir du trio, d'éventuelles nouvelles collaborations, d'une possible auto-parodie quelque peu complaisante dans la recette de l'inattendu programmé.
Pas tout à fait deux ans plus tard, Make amends for we are merely vessels porte en lui, sans volonté de démonstration, une réponse exaltante : de son enfance musciale aux vrais-faux airs de patchwork ludico-musical, le trio a su s'élever à une maturité grandiose, digne des meilleurs porte-étendards du post-rock. D'un album curiosité à une grandiose réussite, la formation a gagné en ambition. L'âge des musiciens autorise la métaphore adolescente : Our brother the native a mué - en commençant, d'ailleurs, par se trouver une voix et en apprenant à crier.
Les onze minutes de "Rejoice", impeccable titre d'ouverture, suffisent à réaliser toute l'ambition des nouvelles compositions de la formation : introduction lente, comme murmurée, qui s'épaissait sans qu'on n'y prenne garde, jusqu'à ces hurlements, encolorés mais trop lointains, comme séparés par un mur de plexiglas ; tumulte, vacarme, comme une montée de rage et soudain, la suspension, pour six minutes d'apesanteur, d'ondoyantes nappes sonores.
Loin du fatras cocorosien, des chaos foutraques et du bidouillage sonore de son opus précédent, Our brother the native propose un album à l'unité sonore évidente, aux atmosphères plus noires, sinon pessimistes. On rêve moins qu'on ne se tourne et retourne dans son lit, pris de fièvre au plus intime de ses dérives nocturnes, saisi au coeur. D'une durée de six à vingt minutes, les compositions ont ainsi gagné en direction, en intention, quoique les lignes mélodiques, diluées dans leur propre ampleur, puisse parfois déconcerter celui qui est moins familier du post-rock / post-folk.
L'habitué, pour sa part, saura retrouver quelques similitudes avec d'autres formations issue de ce monde-là, à commencer par Silver Mt Zion (le chant d' "As they fall beneath us" ou le piano de "The multitudes are dispersing") ou Sigur Ros (le traitement sonore de la voix et la structure de "We are the living"). Ressemblances (voire peut-être même : influences) qui ne doivent pas faire oublier que Make amends for we are merely vessels est, avant tout, un album totalement original, et même : un grand album, où se découvre une personnalité riche, complexe, toute de sensibilité.
L'un des sommets de l'album, plus personnel peut-être que les autres dans l'atmosphère qu'il développe, est ainsi certainement ce "Trees" en deux parties, tout en mélancolie et en retenue, hanté de résonnances, entêtant : "so carry on... carry on...". Mais l'on appreciera également, pour sa richesse et l'intelligence avec laquelle il sait en revenir aux premiers bricolage de la formation, avec certainement moins de gratuité, "The multitudes are dispersing", titre de clotûre de l'album.
Contrairement aux très vaporeux Tooth and Claw, qui laissait à l'auditeur sitôt achevée l'écoute, cette sensation, d'ailleurs admirable, d'inconsistance, d'irréalité, Make amends for we are merely vessels risque fort de l'accompagner longuement après que le soixante dix huitième minute ait touché à sa fin. Album très cohérent, manifestement intelligent, il réussi surtout à toucher au coeur, pour ne pas dire à l'âme, à déployer un monde de sensibilité dans lequel on prend plaisir à s'immerger - et offre ainsi à Our brother the native ses titres de noblesse.
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