Comédie dramatique de Alan Lyddiard, mise en scène de Alan Lyddiard et François Bourcier, avec Cyril Anthony, Alexis Bouchacourt, Caroline Felices, Sébastien Jeannerot, Florence Nilsson, Lionel Pascal et Jean Terensier.
"1984", ce livre de science-fiction hors du commun qu’a écrit Georges Orwell après la seconde guerre mondiale, s’invite sur une scène sous forme de pièce de théâtre en version française. Un défi pas si facile à relever quand on connaît toute la puissance et le poids de ces écrits. Au Théâtre de Ménilmontant, c’est un pari tenu et admirablement tenu.
Dès les premières minutes, le parti pris d’une mise en scène alliant à la fois théâtre et cinéma donne le ton de ce monde totalitaire décrit par George Orwell avec la projection de vidéos sur de grands écrans style modules que les comédiens déplacent tout au long de la pièce. Dans "1984", George Orwell imagine le monde des années 80 plongé dans le totalitarisme. Trois Etats totalitaires concurrents constamment en guerre se partagent la planète : l'Océania dirigée par Big Brother, l'Eurasia et l'Estasia.
Winston Smith, alias Sébastien Jeannerot, travaille aux Archives du Ministère de la Vérité, en tant que membre du parti extérieur. Afin d’éviter les regards indiscrets, il se réfugie dans un coin de son appartement pour écrire des notes dans son journal dans lequel il condamne le Parti, Big Brother et la société totalitaire dans laquelle il vit. Sébastien Jeannerot par son jeu de comédien est complètement époustouflant. Il nous transporte littéralement dans cet univers déroutant.
Dans cet univers où l’on se sent en permanence épié, où tous nos faits et gestes sont minutieusement décortiqués. Quand il a mal, on a mal, quand il a peur, on a peur, il arrive à transmettre au public toutes ses émotions.
Jean Terensier, alias O’Brien, a non seulement une "gueule" et une prestance sans égal ; transparait une classe dans son rôle de tyran, on sent bien toute la sagesse d’un comédien qui a du métier… Sans oublier Florence Nilsson, Alexis Bouchacourt, Lionel Pascal, Caroline Felices, et Cyril Anthony qui donnent, pour chacun d’entre eux, une mesure d’excellence à cette adaptation théâtrale.
Ils ne négligent rien, tout est calé au millimètre prêt, ils connaissent leur personnage à la perfection et ne font qu’un avec eux. Il y a une véritable symbiose et une cohérence dans ce casting. Ils sont complémentaires et donnent tous ensemble un extrême puissance à "1984".
L’adaptation ainsi que la mise en scène de Alan Lyddiard sont somptueuses. Le climat d’inquiétude permanente est là grâce à ce mélange réussi de vidéos et de théâtre. Il y aussi cet aspect saccadé entre chaque tableau dans le but d’insister sur les passages d’un temps à un autre. Le travail esthétique, avec la scénographie de Neil Murray, est à l’image de l’oeuvre d’Orwell : les décors très sombres minutieusement conçus, les costumes et les accessoires qui remémorent tant les années d’après guerre que le futur glacial, terrifiant que propose "1984, Big Brother vous regarde".
D’autre part, l'objet contemporain, envahissant et omniprésent que sont les écrans géants de tailles diverses dispersés partout sur scène, projettent des films réalisés pour cette occasion donne également tout son sens à ce concept qu’est Big Brother. Le sentiment de traque est démultiplié grâce à ce rapport entre le réel du théâtre et le virtuel de l’écran. Un somptueux mélange qui donne aussi toute sa force à cette adaptation.
Pari donc bien tenu ! Adaptation très proche et très fidèle au roman d’Orwell. C’est une occasion formidable de rappeler que les intuitions, les pressentiments d’Orwell sont aussi ancrés sans conteste dans notre actualité, dans notre vie à tous !
De toute évidence on ne ressort pas indemne de cette
expérience, l’heure de l’interrogation est
arrivée, de la remise en cause de tout ce qui fait notre
monde aujourd’hui… parce que quelque part on se
sent tous un peu comme un "Winston".