Quel disque emporter sur une île déserte ? La question vous a sûrement déjà été posée (dans le même registre : "Quel meilleur album des Stones entre 1967 et 1972 ?" ou "Le meilleur disque de tous les temps pour faire la vaisselle").
A cette vraie question, je parviens toujours à la même (fausse) réponse : Roxy Music. Mais une île avec l'intégrale de Roxy Music est-elle vraiment déserte ? La vérité s'écrit forcément entre les lignes (de guitares).
Celles de Phil Manzanera. Je ne ferai l'affront ultime de vous présenter le personnage. Si ? Alors en deux lignes : Phil Manzanera n'est rien de moins que le guitariste de Roxy Music (vous l'aviez déjà compris), celui qui hanta longtemps mes nuits sur "le meilleur live de tous les temps" (from The Old Grey Whistle Test, 1972). Pour les plus curieux, des images d'archives existent. Un témoignage reste de cette époque où Manzanera portait des lunettes de mouche et décochait des solo qui avaient plus à voir avec un baiser de dieu qu'avec des licks de guitare glam.
Trente-six ans plus tard, Phil est toujours debout. Certes un peu moins perché, un peu moins Roxy. Toujours Music. Et si le groupe est encore en studio pour tenter d'enregistrer une suite au mythe, Manzanera n'a pas perdu la tête pour autant. Le souvenir doit s'écrire. Il porte un nom (sobre): The Music 1972-2008. Le best-of de Phil, en fait, comprenant un melting pot varié allant des titres de Roxy aux compositions solos. Jusqu'aux deux derniers albums solo de Manzanera passés sous silence par la presse, 6pm et 50 Minutes Later.
Voila pour la dévotion.
Mais que vaut vraiment ce double CD (accompagné d'un DVD) ? Que vaut le droit d'inventaire face au droit d'archive ? La question mérite bien d'être posée.
En choisissant de mêler (adroitement) titres de Roxy et compositions personnelles, voire inédits, Phil tire parfaitement son épingle du jeu ; le médiator vibre. L'auditeur aussi. Il est parfaitement impossible d'ignorer le talent resté intact. La patte Manzanera ? Rien de moins que le génie d'un anglais qui décida, un beau jour d'ignorer la modalité des modes. En résulte des productions personnelles totalement démodées ("Technicolor UFO") qui résiste comme un vernis passé au lance-flamme. "Miss Shapiro", sortie toute droite de 1974, n'a pas pris une ride, toujours aussi technique (le pêché mignon de Phil, la technique guitaristique acrobate) toujours aussi punchline. C'est à ce stade qu'on comprend que Manzanera décide à la fin du siècle dernier de chanter à son tour, peut-être lassé des facéties de Ferry. Le résultat ? Vous craigniez le pire, vous trembliez d'écouter un cinqua' croulant bredouiller des bouts de mélodie du haut d'un déambulateur ? No worries, "Love Devotion" (2004) est tout simplement l'une des meilleures chansons du double face. Cinquante-trois écoutes sur la platine en moins de trois jours. Véridique.
Véridique. L'album anthologie l'est. Tout autant que le son Phil Manzanera. Ce grain de flanger sur les guitares, cette étrange cornemuse qu'on entend déjà sur "Ladytron" (premier album de Roxy, souvenez-vous) et ces cordes faussement acoustiques. C'est Manza'. Un étrange mélange de Ry Cooder, Steve Vai, Santana et John Cipollina de Quicksilver Messenger Service. Tout cela se retrouve sans passer l'Océdar sur Music 1972-2008. La nostalgie camarade, elle n'existe pas chez Phil. Tout au plus frissonne-t-on à l'écoute de "Manifesto" ou "Running wild", période Roxy.
Oh bien sûr... il y a la période hispanique de Phil Manzanera. Chacun son fardeau. Les airs exotiques, le mariachi(ant) et le "happy together ensemble" qui sent bon le sentiment fraternel type we are the world avec casque pour tout le monde. C'est le versant "humaniste" de Manza qui ressort (vomit ?) sur le double album. Et confère à l'ensemble une tonalité disparate où se croisent chansons vieilles de trente ans (Roxy), compositions contemporaines (ses albums solos) et tentative de guitares altermondialistes (no comment).
Alors que The Music 1972-2008 aurait pu verser sur le mauvais coté du trottoir, genre "PowerPoint de ma carrière et champagne pour tout le monde", le double album est une magnifique pièce de collection pour les collectionneurs (sic) mais aussi pour l'ensemble de l'humanité. Cet homme est grand, il est anglais, c'est une partie du mythe inconscient et collectif. Amen, je rends l'antenne. |