Second Sex fait partie de cette nouvelle scène rock française, parrainée par Manœuvre, Eudeline & Co, et suivie au jour le jour dans les pages de Rock&Folk (rubrique "Busty Theory", chroniquant les concerts au Gibus). Dans leur enthousiasme, ces vénérables plumes rock n’hésitent pas à comparer ce mouvement à la mythique déflagration punk française de 1977 (Asphalt Jungle, Stinky Toys, Guilty Razors, Bijou, Gazoline et consorts). Manque de recul oblige, on ne sait pas encore s’il faut souscrire à une comparaison aussi flatteuse. Néanmoins, ce retour du rock en France et l’engouement qu’il suscite chez les jeunots ne peut que nous réjouir : il vaut mieux que les adolescentes s’enflamment pour ces baby rockers fougueux et stylés, plutôt que pour des bellâtre R’n’B ou des vedettes pré-mâchés de la télé-réalité.
Les premiers pas de ces nouveaux rockeurs avaient précédemment été recueillis dans le live Passe Ton Bac D’abord (avec le soutien d’Eudeline) et la compilation studio Paris Calling (produite par Yarol Poupaud).
Après ces coups d’essais plutôt réussis (surtout le live), les premiers albums respectifs des uns et des autres avaient fini par sortir, et les déceptions s’étaient succédées : ni Naast, ni les Shades, et encore moins les Plasticines ne semblaient tenir la route sur la durée d’un disque complet, et aucun d’entre eux ne concrétisait les espoirs entrevus le temps d’un ou deux titres sur les compiles collégiales précitées.
Aujourd’hui, c’est donc au tour des Second Sex d’affronter le format LP, et concrétiser (ou pas) les espoirs placés en eux.
La première impression est (comme le bilan du stalinisme) globalement positive : les bougres n’y vont pas de main morte et nous rentrent dans le lard d’entrée de jeu, 16 titres et pas le temps de souffler, très peu de ralentissements de tempo. La bonne surprise se confirme au fil des écoutes : malgré la nuance un peu ironique qui accompagne souvent le terme "baby rockeurs", ce disque-là n’a rien de ridicule. Mieux encore : il contient suffisamment de titres efficaces pour mettre en transe les petites adolescentes stylées qui pistent le groupe de concert en concert, balançant culottes trempées et sous-tifs rembourrés en direction de ces petits veinards. [Note : et l’on se prend soudain un méchant coup de vieux (31 ans, le début de la fin ?), en réalisant que toute cette furia nous est désormais interdite, et que l’on ne saurait participer à ces célébrations teenage rock païennes sans risquer de faire tâche ou tapisserie ; passer pour un vieux con frustré grinçant de partout]
Blague mise à part : si tout n’est pas excellent dans ce premier album (qui aurait évidemment gagné à être plus resserré ; mais n’est-ce pas le cas avec tous les disques de rock ?), on distingue assez de bons titres pour être positivement impressionné. Amours diaboliques et problématiques loubardes sont au programme, dans des brûlots aux titres et textes évocateurs : "Petite Mort" (instru pied au plancher en intro et conclusion), "J’ai couché avec le diable", "(Je ne suis pas une) Fille Facile", "Lick My Boot", etc. Aux guitares saturées se mêlent mille petits détails d’arrangements malins (l’harmonica de "Mon Autre Côté", les claps dans "Lick my boot", les chœurs woo-ho-ho de "We Lost Control"), qui évitent au disque de sombrer dans la lourdeur ou le bourrin univoque. Au contraire, c’est souvent classieux, au diapason de la pochette qui voit nos petites frappes immortalisées par le regretté rock-dreamer Guy Palleart.
Si la filiation musicale la plus évidente semble ici être les Strokes (dont le premier disque a été, manifestement, le déclencheur à toute cette scène), on peut aussi trouver des connexions soniques avec les (plus) glorieux Asphalt Jungle ou Bijou… et même parfois Téléphone (pourquoi pas ?), pour ces chœurs débordants et juvéniles qui éclatent sans crier gare. En tout cas, une musique qui a le mérite de transcender les étiquettes classiques (rock ? punk ? pop ? un peu des trois, c’est l’idéal). Dans le même ordre d’idée, les chansons alternent anglais et français, sans que l’on puisse dire laquelle des langues leur sied le mieux. Après des années de tergiversations (peut-on faire du rock dans la langue de Molière ?), le problème n’est plus d’actualité : l’idiome rock des Second Sex est aussi efficace dans les deux sens, et il faut s’en réjouir.
Parmi nos titres favoris, on mentionnera particulièrement "We Lost Control" (bastonneur et répétitif à souhait, sur un riff à faire pâlir Ron Asheton, Johnny Thunders et Keith Richards réunis) ; "Mon Autre Côté", morbide histoire de baisers vampiriques et "dents malsaines", amour-haine et alter ego à sacrifier ; "(Je ne suis pas une) Fille Facile", (auto)portrait plein d’humour d’une fillette paradoxale, à la fois innocente et fatale, ingénue bandante et pétasse casse-couille/castratrice… morceau de scène rêvé, que les petites fans vont se faire un plaisir de reprendre en chœur. "Stay", mi-tempo plus sophistiqué que le reste, propose de jolis breaks de chœurs et une belle écriture pop. Enfin, le meilleur pour la fin : "Lick My Boots", chronique mythifiée d’un duel-baston dans un bar, belligérants demi-dieux encerclés par la foule complice ; le morceau est une perpétuelle succession d’accélérations et accalmies, passages instrus permettant à chaque guitariste d’y aller de son solo perso, impressionnant & frimeur mais sans être trop démonstratif (oui, c’est possible !), avec cris de foule pour faire monter la sauce et encourager le clash.
Au final, on l’a dit, il nous manque le recul nécessaire pour savoir si cette scène rock actuelle sera à la hauteur de celle de 77. Néanmoins, à première vue, l’enthousiasme du public est au rendez-vous, et nos bébés rockeurs disposent d’une logistique dont n’auraient même pas osé rêver leurs prédécesseurs punk rock. L’album de Second Sex est donc une très bonne surprise, et l’on prie maintenant pour que les autres graines de rock stars transforment aussi bien l’essai (notamment Violett, autre pousse prometteuse repérée sur Passe ton Bac D’abord)…
Et pour finir sur un hommage aux anciens : l’on espère aussi que ce regain d’intérêt pour le chaos électrique donnera la bonne idée à une maison de disque d’enfin publier en CD l’intégralité des 45 tours d’Asphalt Jungle… afin que le parrain Eudeline récolte les dividendes des graines (de violence) semées 30 ans plus tôt, et joliment écloses ici. |