Nouvelle égérie des grands noms de la presse musicale indépendante, Alela Diane, Menig de son nom civil, avait réussi une entrée des plus remarquées dans le panthéon de la musique folk avec son album The pirate's gospel – qu'il serait insultant de présenter encore à la bonne bouche mélomane.
Restait à voir, et à entendre, si la jeune femme, à pas encore tout à fait 26 ans, pourrait réitérer ce premier coup de maître et / ou lui donner vie jusque sur scène. Challenge relevé avec une nouvelle tournée, en l'honneur de To be still, son deuxième opus. Première date française : l'aéronef de Lille, ce mercredi 1er avril.
Pour assurer sa première partie tout au long de cette tournée, Alela Diane s'est adjoint les services de quelqu'un qui lui ressemble : William Elliott Whitmore. Relativement inconnu en France, il n'en est pourtant pas à son coup d'essai, puisqu'il s'était déjà rendu coupable de pas moins de six albums (tous parus chez Southern records) entre Octobre 2003 et Novembre 2007. C'est maintenant avec la complicité d'Anti-records qu'il publie Animals in the dark.
Seul en scène, à la guitare ou au banjo, il propose une musique simple comme la vie dans les parties les plus rurales de l'Iowa dont il est originaire.
L'homme sent la campagne, et les années 60. Il vit encore dans la ferme qui l'a vu naître, aime travailler la terre, élever des chevaux, des poulets. Il martèle le rythme du talon de ses bottes avec une force étonnante. Et sa voix est ensorcelante, légèrement éraillée mais chaude, comme vieillie prématurément ; profonde, puissante. On en relirait Jim Harrisson.
Plus ancrées dans le siècle, les chansons de son dernier album parlent du monde, du mal qui s'y cache parfois – dans la plus droite et typiquement américaine tradition de la folk protest song.
Avec des mots simples, il pointe du doigt les errances des puissants, les erreurs et dangers d'une politique. Avec un charisme saisissant et tout d'humilité, il ravira au public ses plus belles acclamations, pour un set court d'une demi-heure qui laisse courir son nom sur toutes les lèvres. De mon côté, je rêve qu'il s'amuse à reprendre "The pirate's gospel", titre phare de l'album éponyme.
Quant à Alela Diane, sa performance hésite en permanence entre le grand spectacle calibré et l'authenticité d'une rencontre toute d'intimité. On comparera ainsi sa façon, désarmante de simplicité, d'entrer seule en scène, de dire bonsoir, de jouer un morceau en s'accompagnant elle-même à la guitare – et la manière dont elle contraste avec l'entrée progressive de ses musiciens (son père à la guitare, une choriste, un batteur et un bassiste) entre chaque morceau, et la façon identique qu'ils auront de quitter la scène quelques chansons plus tard, qui rompent un peu le charme en laissant à voir comme tout cela est étudié.
Alors quoi ? Tout la simplicité affichée ne serait-elle que marketing ? La si cool jeune femme ne serait-elle que l'icône d'un revival hippie-folk pour bobo nostalgique ? On pourra toujours le soupçonner et se dire que le si grand succès, inattendu, du premier album aura éloigné la chanteuse de sa fraîcheur initiale.
Mais je ne suis pas persuadé, loin de là, que ce soit la vérité. Les quelques mots que la jeune femme, encore un peu intimidée malgré tout, ne manque pas de prononcer entre deux chansons, semblent sincères : elle est heureuse, d'être ici ; elle mène une vie incroyable, à l'autre bout du monde, des gens se déplacent en nombre juste pour venir l'entendre chanter. S'il y a une arnaque là-dessous, elle est d'une telle lucidité...
Bien sûr, le concert s'achèvera, après deux rappels, sur le titre le plus attendu (..."The pirate's gospel", vous l'aurez deviné) et ce déroulement a quelque chose d'un peu convenu. Mais peut-on reprocher à un artiste une certaine professionnalisation – sans lui souhaiter en même temps, du moins, l'échec commercial et médiatique ?
Bien sûr, on ne pourra s'empêcher de se dire que les gesticulations du batteur et du bassiste, en fond de scène, ont quelque chose d'exagéré, de surjoué même. Comme si on leur avait demandé d'apporter un peu de vie sur une scène bien raide. Mais à l'inverse, quelle froide étude scénographique aurait bien pu décider de laisser ainsi pendant d'interminables silences la choriste, qui passera parfois plusieurs minutes sans n'avoir rien à faire, un peu gauche et raide, finalement touchante derrière son pied de micro à l'avant de la scène ?
Bien sûr, finir après deux rappels, sur de pseudos-protestations, (style : "bon une toute dernière si vous insistez mais ça n'était vraiment pas prévu") et enchaîner sur le titre le plus attendu du concert (ce fameux Pirate's gospel) a forcément quelque chose d'artificiel. Mais le succès n'est-il pas un fardeau avec lequel il vaut mieux savoir composer, de peur qu'il ne vous écrase ? De fait, ce sont bien aux titres phares du premier album, joués en nombre que le public réagira le plus, quoi que "White as diamonds" et "To be still" remportent également bon nombre de suffrages.
Peut-être les plus puristes pourront-ils donc, s'ils y ont le coeur, trouver à se sentir volés du bain de sincérité, d'authenticité et d'intimité qu'ils étaient venu chercher, par centaines, aux pieds de la scène ce soir. Mais ceux qui s'intéressent avant tout à la musique devront bien reconnaître qu'Alela Diane les aura transportés. |