Andy Warhol, le pape du Pop art, le roi de la Factory, est à l'honneur du Grand Palais avec une exposition d'envergure "Le grand monde d'Andy Warhol", organisée par la Réunion des Musées Nationaux sous le commissariat de Alain Cueff, historien d'art, qui a souhaité proposer un regard différent sur son activité de portraitiste souvent dénigrée.
Considérant celle-ci comme une part fondamentale de son œuvre, à savoir "une sorte d'état suspendu entre la vie et la mort", il y voit "un work in progress cohérent et logique" qui mérite qu'on s'y attarde.
Cette exposition, importante par son ampleur, une sélection de cent trente oeuvres parmi le millier de portraits réalisés dont certaines faisant partie de collections particulières sont rarement montrées, présente de nombreux intérêts.
Outre le fait qu'elle alimente le débat sur la polémique Warhol artiste-héros qui sauve de la disparition du portrait de grand style ou opportuniste mondain qui immortalisa la jet-set des années 70-80, elle permet au visiteur néophyte de voir les toiles de Warhol qui maintes fois reproduites réduites à de plates images.
Les œuvres sont ordonnées selon un parcours typologique scénographié par Didier Blin qui a conçu un white cube pour des portraits pétants des couleurs dont Warhol grime les visages de ses contemporains comme pour conjurer la mort, masque qui se superpose au masque que portent les célébrités avec deux moments de bravoure, la consacrée aux portraits de Mao et la rotonde aux photographies sur murs tapissés de la "Cow yellow on blue".
Pour essayer d'approcher la démarche qui l'animait quand il affirmait vouloir dresser un seul grand tableau intitulé "Portrait of society", la réalité est sans doute celle énoncée par Cécile Guilbert qui analysait l'art du portrait de Warhol à la fois "comme un miroir de la vanité la plus triviale et comme un questionnement métaphysique de l'existence".
Du quart d’heure warholien à la postérité du Beautiful people : la comédie humaine d'Andy Warhol
Andy Warhol initie son activité de portraitiste en 1962 avec le portrait de Marilyn réalisé après son décès à partir d'une image existante.
En
1963 pour sa première commande avec les multiportraits
de Ethel Scull, retenus comme visuel pour l'affiche de l'exposition
il prend lui même les photos qui serviront de matériau
de base.
Et il va mettre au point un protocole d'élaboration unique et novateur de transposition sérigraphique d'un portrait peint à partir d'une photographie polaroïd retouchée et imprimée sur un transparent qu'il utilisera de manière systématique pour réaliser sur commande un nombre impressionnant de portraits dont chacun s'avère différent des autres.
A cet égard, la lecture liminaire des analyses figurant dans le catalogue de l'exposition pour chacune des œuvres est instructive.
Andy
Warhol construit une immense galerie de portraits qui dresse
le panorama de la belle société, américaine
et internationale, de l'époque du monde de l'art, des
artistes aux collectionneurs en passant par les marchands d'art,
du cinéma et de la musique, de la politique et du gotha
de la finance et de l'industrie.
L'exposition permet également de constater que son œuvre s'inscrit totalement simultanément dans la fonction classique du portrait, qu'il s'agisse du portrait de cour, avec les portraits des rois et des politiques, du portrait souvenir avec son panthéon de la culture juive moderne, de la représentativité avec les icônes hollywoodiennes ou du portrait de famille avec celui de sa mère.
Par ailleurs, tous ses portraits sont déclinés en diptyque ou quadiptyque voire en polyptique ce qui contribue à donner au portrait, par essence figé et mortifère, une composante cinétique souvent révélatrice. A cet égard, par exemple, le portrait de Brigitte Bardot, réalisé l'année où elle arrête sa carrière, est particulièrement saisissant.
Outre
la récurrente question de la représentation de
la figure humaine, Alain Cueff dégage une autre piste
de réflexion : élevé par une mère
profondément religieuse, Andy Warhol, obsédé
par la mort, cherchait à voir derrière le miroir,
"saisir ce qui est présent et qui ne se voit pas,
en d'autres termes, il travaille sur la révélation".
D'où l'utilisation de la photographie pour tenter de capter l'essence du divin et de percer le mystère de l'incarnation.
De là à l'iconographie religieuse il n'y a qu'un pas. Ce sur quoi se clôt l'exposition avec "Skull", "La dernière Cène", "Big electric chair", et "Raphaël Madona - $ 6,99". Dans le "Self-portrait" de 1978 Andy Warhol, dont les autoportraits scandent cette monstration ("Je me peins pour me rappeler à moi-même que je suis toujours là"), trityque en un avec trois profils en négatif, il apparaît comme une ombre.