Comédie d'Alfred de Musset, mise en scène et interprétée par Isabelle Andréani (en alternance Guylaine Laliberté) et Xavier Lemaire.
Faut-il réhabiliter le théâtre de Musset ? Il y a quelques années, une étude approfondie de "Lorenzaccio" nous avait quasiment brouillé avec lui : ses lourdeurs politico-romantiques, ce couplet sur l’innocence perdue censée excuser le cynisme poseur, etc. Tout cela avait mis notre patience à mal, et laissé un a priori négatif sur "l’Enfant du Siècle" en tant qu’auteur dramatique.
Apparemment, nous n’étions pas les seuls à avoir eu quelques réticences : si l’on en croit M. Allem dans sa préface à l’édition Pléiade du Théâtre Complet, les pièces de Musset mirent assez longtemps à être représentées, et ne rencontrèrent pas d’office l’estime des critiques. La faute, entre autres, à une dramaturgie se souciant fort peu de "représentabilité" (les scènes, sises en des lieux fort divers, posaient de réels problèmes de décors) ; et sans doute aussi à ce petit côté "sombre héros romantico-tête-à-claques" qui n’incitait pas à la clémence…
C’est cet a priori que la comédienne et metteuse en scène Isabelle Andréani se fait fort de nous ôter, avec la représentation d’"Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée" : prouver à ceux qui en doutaient que le théâtre de l’amant de George (Sand) ne se réduit pas à de lourdes complaisances ombrageuses cheveux au vent, mais peut aussi contenir certains moments exquis. De fait, on a souvent entendu dire que la forme brève convenait bien à son écriture dramatique, et que ses pièces en un ou deux actes s’appréhendaient mieux que les autres… Une idée que le présent spectacle illustre à merveille.
Plutôt que d’associer deux œuvres courtes pour en faire un programme d’une durée acceptable (en général, "Il faut qu’une porte…" est montée avec "Un caprice"), Isabelle Andréani a choisi d’intégrer la représentation de la pièce au sein d’une autre, par elle écrite, et tournant autour de la vie et l’art de Musset.
La mise en bouche est la suivante : deux de ses "gens" (un cocher, une servante), secrètement épris l’un de l’autre, se trouvent des points communs dans l’œuvre de leur maître (qu’ils vénèrent) et en viennent à flirter en récitant des tirades. Ils s’interprètent finalement la pièce qu’ils préfèrent ("Il faut qu’une porte…"), trouvant dans la symétrie des situations dramatiques une belle manière d’attiser leur flamme.
Le texte de Musset proprement dit est une joute oratoire sentimentale, entre une marquise s’apprêtant à tenir salon (malgré l’ennui que ce cérémonial lui inspire) et un comte venu là (soit disant) par hasard, mais trop ouvertement en avance pour être honnête. Profitant de cette vacance mondaine momentanée, ils vont s’affronter sur une question de rhétorique amoureuse (faut-il ou non se décider à avouer un sentiment ?), disputer sur la meilleure manière de faire (ou pas) sa cour à une femme. Au terme de vibrants argumentaires et de grandes théories animées, ils en viendront enfin à la pratique et, lâchant la bonde au désir trop longtemps contenu… trancheront le débat de la plus belle manière qui soit !
Extraordinairement ramassée, la pièce exploite tous les possibles de sa (plutôt mince) situation de départ. Le dialogue en flux tendu est un sommet d’éloquence sentimentale, mais cette dispute théorique ne reste pas désincarnée : malgré leur partition brève, les personnages ont de la substance, et révèlent en peu de mots une riche intériorité.
Ils sont incarnés d’ordinaire par l’excellent Xavier Lemaire (qui passe avec une rapidité surprenante de la bonhomie à l’émotion) et Isabelle Andréani elle-même. Le soir où nous nous y trouvions, c’est Guylaine Laliberté qui remplaçait cette dernière : reprenant efficacement le rôle de la marquise, elle ajouta à celui-ci un zeste d’accent délicieux, apportant une touche d’exotisme chantant au grand monde parisien évoqué par la pièce.
Au final, le spectacle est assez réussi, et l’idée du théâtre dans le théâtre, pour rebattue qu’elle soit, plutôt efficace : le prélude offre un écrin idéal à la représentation de la pièce principale ; les situations se répondent joliment, et l’aveu des uns va servir aux autres à se déclarer (peut-être) leur flamme. Au-delà de ce piquant parallèle, c’est aussi l’occasion pour la metteuse en scène d’exprimer son admiration pour la vie et l’œuvre de Musset: communicative, elle nous donne finalement envie de les redécouvrir, et leur laisser une seconde chance…