La Malterie propose habituellement une programmation ciblée dont les tendances expérimentales attisent la curiosité du mélomane avide de sensations fortes.
Condition essentielle : abandonner au seuil de la salle toute espérance : la pop, les belles mélodies, les refrains fédérateurs sont proscrits. Le visiteur en quête de confort musical se trompe de route, et ce serait préférable qu’il ne s’attarde pas outre mesure dans de telles voies périlleuses. De la pop britannique, légère, sucrée, lisse à l’oreille lui sera proposée dans d’autres lieux où la sagesse constitue la règle élémentaire − celle du penseur timoré qui se refuse à tout basculement existentiel.
Les concerts de La Malterie s’adressent plutôt à l’aventurier de l’esprit, désireux d’en découdre avec ses préjugés et conceptions figées du rock. A trop écouter la même musique, on en devient insensible aux nouveautés ; on préfère se tenir entre les bornes rassurantes de sa propre culture ; on craint le dépassement, forcément libérateur, qui est l’exact contraire de l’ennui. Mais l’aventurier de l’esprit se positionne comme intranquille : rien ne peut apaiser sa soif de découverte. Et plutôt que d’être résolue, son inquiétude ira vers une aggravation sans retour. La musique expérimentale – celle qui sort des catégories et classifications évidentes – s’apparente à un alcool fort dont les effets dérangent les prudences et autres facilités systématiques.
Les deux concerts de ce 1er juin furent de ceux qui bousculent les certitudes. Lori Sean Berg et Don Nino, le duo franco-américain de The Berg Sans Nipple, groupe en tête d’affiche, ont révélé un univers où les percussions tiennent le haut du pavé.
Tour à tour discrètes, minimales, généreuses, violentes, les rythmiques se combinent subtilement avec claviers et samples hypnotiques. Les compositions électro associées à une ambiance afro-beat et légèrement cuivrée réaliseraient un alliage improbable entre un post-rock sans guitare et un free-jazz sans saxophone.
En prenant le groupe dans son ensemble, sans dissocier les deux musiciens, dont la performance technique faite de rigueur et d’insolence rythmique s’équilibre à une faible dose d’improvisation, on jurerait que la formation se compose de deux fois plus de musiciens, tant le son est dense et riche de trouvailles formelles. Les samples surprennent d’une façon constante, et la dynamique dans laquelle se pose le claviériste insuffle à la salle une atmosphère à la fois vaporeuse et énergique.
Le public autour de la scène n’hésite pas à danser de travers, voire sur place, immobile : des rythmiques carnassières se heurtent à des complications électro irrésistibles ; et la tension nerveuse de l’ensemble invite au recueillement.
En conclusion, on n’hésitera pas à se procurer le dernier album en date du groupe, Along the Quai, paru chez le label New-Yorkais Team Love, afin de retrouver les structures complexes de ce territoire musical fascinant ; tout en attendant la sortie imminente d’un prochain album sur le même label.
La première partie de la soirée, Shiko Shiko, formation française locale, a révélé un univers similaire, mais dont les traits principaux furent grossis. Il s’agissait bien là d’une introduction à The Berg Sans Nipple, accomplie sur un mode plus brutal, et bruitiste. En plus des samples, claviers et puissantes rythmiques infra-basses, des guitares percutantes prennent l’offensive.
Pour se donner une meilleure idée de ce phénomène, on peut donner la définition, en japonais, du nom du groupe : Shiko Shiko signifierait "masturbation". Vrai ou faux, qu’importe puisque cette définition semble bien résumer l’esprit du quatuor : style post-rock-electro onaniste qui privilégie davantage le plaisir brut, immédiat, purement matériel, sans complexes, plutôt qu’une jouissance progressive, nuancée, procédant de la patience, de l’équilibre entre les instruments, et du dialogue entre chaque musicien.
On avait plutôt affaire ici à un défoulement joyeux, basé sur une théâtralisation inspirée, masques et guirlandes à l’appui, où s’est exprimée une culture cyber-punk, synthétique, que d’aucuns ont jugée originale.
Mon collègue de travail, le Docteur Chort, a relevé ce procédé inventif qu’avait le groupe de raconter, du début à la fin, une histoire cohérente, dont chaque chapitre se résume à une étape instrumentale, liée à un comportement scénique – le tout agrémenté d’un humour qui contraste avec le martèlement des basses omniprésentes.
Finalement, les perspectives inventives (mégalomanes ?) de Shiko Shiko laissent envisager une suite excitante, et pourquoi pas davantage tournée vers un style symphonique, avec force violons et autres cordes engageantes… |