Le dernier album de Louis Sclavis est assez surprenant. Il ne manquera pas en tout cas, d’étonner ceux qui suivent de près son travail et qui n’avaient pas manqué de saluer comme il se doit le précédent album, L’imparfait des langues.
Car il y a dans ce nouvel opus un travail beaucoup plus épuré qu’à l’accoutumé. Sclavis y semble en effet beaucoup plus apaisé, moins nerveux. Ce qui doit se comprendre dans la thématique de cet album autour de l’Odyssée d’Homère. Il y est en effet question, comme le dit Sclavis lui-même, de se perdre et de s’égarer. Comme il nous le disait en interview, il y a deux façons de se perdre : perdre sa route et se perdre soi-même. D’où un sentiment qui prédomine à l’écoute du disque, de flottement et de no man’s land.
Avec cette formation de jeunes musiciens qui l’accompagnent depuis quelques temps, il parvient ainsi à créer un climat qui évoque à la fois l’absence et l’ancrage dans les racines très terriennes où vient se greffer la notion de rites païens en référence aux chants antiques ("Bain d’or"). Dans Lost on the way, l’attaque sauvage des tambours évoque ainsi des scènes tribales résonnant au loin, alors que le jeu de Sclavis nous ramène à une plainte inquiète et à l’angoisse de la solitude lointaine. C’est une épopée qui nous est racontée avec ses moments de doutes, ses phases de calme qui précèdent la tempête sauvage, le paroxysme des éléments déchaînés, l’absence d’Ulysse et surtout la prédominance du voyage. Avec une très grande expressivité, Sclavis convoque dans sa musique les notion de temps qui s’écoule lentement et d’espace, l’horizon proche et lointain.
Pas de claviers ici mais un personnel en partie renouvelé. Mathieu Metzger (que l’on entend aussi dans le formidable album de Ducret) vient avec talent remplacer Marc Baron et Olivier Lété prend la contrebasse. François Merville (associé depuis des années à Sclavis) et Maxime Delpierre (dont la collaboration est plus récente), poursuivent leur collaboration avec Louis Sclavis, pièces essentielles de son nouveau dispositif où il est question de créer une pâte sonore, une couleur qui n’est pas sans rappeler à certains égards le magnifique travail que le guitariste avait signé il y a quelques années avec Limousine.
Louis Sclavis laisse beaucoup de place au jeu et aux sons que les musiciens trament en contrepoints et en écheveau subtils (la patiente Pénélope devient muse dans "Des Bruits à tisser") et dans l’écoute collective de la musique et du silence à l’image de ce "Abord Ulysse’s boat" où l’on comprend tout le soin porté à fabriquer le son et à créer un climat parfois inquiétant. Dans cet exercice-là, Sclavis effectivement s’expose moins laisse beaucoup plus de place à Metzger qu’il ne le faisait avec Baron. Il nous emmène finalement vers une tragédie à l’antique dans un double corps à corps, celui d’Ulysse avec les éléments mais aussi peut-être celui de Sclavis avec lui-même.
Chronique originale publiée dans
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