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Théâtre Mouffetard  (Paris)  septembre 2009

Pièce de Molière, mise en scène de Cyril Le Grix, avec Jean-Pierre Bernard, Catherine Jarrett, Alexandre Mousset, Philippe Fossé et Carole Schaal.

"Dom Juan" est une pièce qui nous a toujours posé problème : écrite en quatrième vitesse pour boucher un trou financier entre "Le misanthrope" (qu’il était en train de fignoler) et la re-sortie du "Tartuffe", elle souffre d’innombrables facilités et défauts qui, questionnant la notion de "chef d’œuvre", suscitent le débat…

Un texte aussi bancal (toutes proportions gardées : il s’agit de Molière !) peut-il être mis au même plan d’admiration que les parfaites compositions de "L’école des femmes" ou du "Misanthrope" ? Doit-on respecter une oeuvre aussi irrespectueuse des règles, ou bien prendre l’initiative d’y faire le ménage, tenter d’en corriger les tares pour la faire repartir sur de bons rails ?

Ce sont quelques-unes des questions soulevées par cette adaptation "revue et corrigée" que propose le metteur en scène Cyril Le Grix, au Théâtre Mouffetard. Taillant dans le lard du texte, il prétend en offrir une version épurée, retrouvant la "substantifique moelle" qui s’était peut-être perdue en route…

On connaît l’histoire : Dom Juan, séducteur invétéré suivi de son valet Sganarelle, épouse et délaisse des femmes au mépris des lois divines. A son domestique qui tente de lui faire la leçon, il oppose un athéisme railleur, et théorise son besoin de séduire. Poursuivi par l’ire d’une amoureuse éplorée (Elvire), il continuera ses outrages jusqu’à ce que le courroux du Ciel se manifeste, pour lui faire entendre raison (et accessoirement : ôter la vie).

Concrètement, quels sont les défauts que l’on peut trouver à cette pièce ? Structurels, tout d’abord : les scènes s’empilent sans s’enchaîner vraiment, traçant plus le portrait d’un libertin qu’une histoire proprement dite. Les unités classiques (de temps, de lieu, d’action) s’en trouvent, de fait, mises à mal…

Mais c’est surtout l’absence d’unité de ton qui pose problème : le mélange des genres (de la farce à la quasi tragédie) fragilise la thématique principale, ce défi permanent au Ciel (et la fin que cela lui vaut), oblitéré au sein d’un salmigondis de scènes versant dans la guignolade pure et simple.

Tout le propos de Cyril Le Grix a donc été de resserrer la pièce, ôter ces relents de commedia dell’arte qui en parasitaient le propos (on ne peut plus sérieux) : exit, par exemple, les scènes avec le lourdaud Pierrot ou le pénible Monsieur Dimanche. De la même façon, il a fait le choix de dramatiser quelque peu le personnage de Sganarelle : il n’est plus un simple "valet de comédie", mais un être sensible et crédule, horrifié par l’insensibilité et l’absence de croyances de son maître.

Si la représentation n’est pas exempte d’humour, celui-ci est donc un peu moins gras qu’il ne l’était au départ… ce qui met d’autant mieux en valeur le drame d’Elvire ou le mépris dans la séduction de Charlotte (lesquels étaient noyés sous les bouffonneries, dans la version intégrale de la pièce). Egalement coupée de son environnement farcesque, la scène du pauvre y prend une résonance décuplée, glaçante.

Conformément à ce parti pris de dramatisation, Cyril Le Gris a aussi choisi de vieillir Dom Juan… Heureuse initiative : l’irrespect amoureux et religieux, prôné par un beau jeune homme, pouvait s’apparenter à de la désinvolture ou de l’inconséquence (bien de son âge)… Revendiqué par un être au crépuscule de sa vie, il constitue un choix de vie cohérent dans son parti pris attentatoire à la loi divine, et donc une "profession de foi" autrement plus blasphématoire…

Ce vieillissement rend aussi plus sensibles certains traits de cynisme du personnage : jusque-là, on avait toujours vu en Dom Juan un grand seigneur plus bon vivant que "méchant homme"… L’intelligence de la présente représentation est aussi d’en faire un fieffé salaud, touché de temps à autres par des bouffées de vague à l’âme. Bref : un être qui peut s’avérer pesant et vicié, et pas simplement léger et badin, comme laissait entendre le texte initial.

Les comédiens Jean-Pierre Bernard et Alexandre Mousset forment un duo maître-valet excessivement mal assorti… pour notre plus grand plaisir ! Philippe Fossé apparaît peu, mais ses interventions spectrales (Dom Louis dans un rêve, le spectre proprement dit) ou pathétique (le pauvre, traîné dans la boue) comptent parmi les grands moments de la représentation.

L’Eternel Féminin, adoré puis foulé au pied par le séducteur cynique, est incarné ici par Catherine Jarret, en Elvire mûre, brune et ardente. Paradoxalement, c’est lorsqu’elle retrouve la cornette qu’elle devient encore plus désirable…

L’autre versant de la féminité est représenté par Carole Schaal : Cyril Le Grix a pris l’initiative de faire de Gusman, écuyer d’Elvire dans le texte originel, une écuyère… ce qui nous vaut, en exposition, une belle scène de rhabillage post-coïtus entre elle et Sganarelle. La comédienne incarne aussi la paysanne Charlotte, qui n’a jamais aussi bien rimé avec "tête de linotte"…

En conclusion, on l’aura compris : cette version de la pièce nous a emballés. Une œuvre telle que Dom Juan, partant un peu dans tous les sens et offrant quantité de pistes possibles quant à l’interprétation (c’est ce qui fait sa richesse), nécessite un parti pris fort. Celui de Cyril Le Grix, excessif et entier, met d’autant mieux en lumière le tourment métaphysique traversant ce personnage. Débarrassé de ses aspects farcesques (le "gras sur le rebord de l’assiette"), il atteint à une relative épure, qui le fait accéder plus fortement encore au rang de mythe.

Si d’autres modifications sont sujettes à caution (par exemple la disparition de Dom Carlos et Dom Alonse, ou la substitution d’une parole de Dom Louis, désormais prononcée par Elvire), elles ne remettent pas en cause la réussite du spectacle à nos yeux.

Après tout, comme Dom Juan "grand seigneur méchant homme", la pièce est un grand œuvre empli de vils défauts… Et cette fragilité relative peut s’avérer une aubaine pour les metteurs en scène : les nombreux trous d’air qui la fragilisent leur permettent de se l’approprier avec un peu moins de respect ou de timidité qu’ils ne l’auraient fait d’un classique irréprochable.

On a beau y trouver à redire : ces libertés prises avec l’œuvre font d’autant mieux ressortir le génie de Molière, en prouvant qu’il peut (décidément) survivre à tous les outrages…

 

Nicolas Brulebois         
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