La
salle Pleyel recevait en ce 30 octobre le Palast Orchester qui
fête cette année ses 20 ans d'existence. Bien que
le succès de Max Raabe et son orchestre reste confidentiel
en France, la salle était pleine, rempli par un public
très disparate, plutôt germanophile, dans lequel
on croisait des dandys décadents, des femmes habillées
comme dans les années folles, des garçons sensibles,
tout aussi bien que des allemands en birkenstock en octobre,
ou des personnes osant des chemises à fleurs hautement
improbables.
En Allemagne, Max Raabe et son orchestre remplissent les salles,
ils vont d'ailleurs bientôt jouer dix-sept jours d'affilée
à Berlin. Leurs tournées les ont déjà
emmenés à travers l'Europe, mais aussi au Japon
ou en Chine. Ils ont aussi joué aux Etats-Unis, et ont
fait salle comble au prestigieux Carnagie Hall de New York.
C'est surtout leurs deux albums de reprises de tubes (Abba,
Britney Spears, Queen, Nena, Soft Cell...) en version swing
années 30 qui les ont fait connaître du grand public.
Sur scène, l'orchestre est tiré à quatre-épingles.
Composé d'une section de sept cuivres, d'un guitariste-joueur
de banjo, d'un percussionniste, d'un pianiste, et d'une contrebasse,
tous ces hommes arrivent vêtus d'une chemise blanche,
veste blanche avec pochette, nœud papillon pantalon noir
et souliers vernis. Le cheveu est gominé. La seule femme
de l'orchestre, la violoniste Cecilia Crisaffulli,
arbore une robe longue rose. Quant à Max Raabe, il porte
un smoking noir à veste courte et queue-de-pie, chemise
blanche, plastron blanc, nœud papillon blanc, pochette
blanche. A l'entracte, les vestes blanches des musiciens seront
troqués pour des vestes noires et la robe rose pour une
robe rouge longue au dos nu profond.
La soirée commence par le titre éponyme de la
tournée, et du dernier album, Heute Nacht oder nie. A
la fin de cette chanson, Max Raabe s'adresse au public en français
pour dire, avec une légère pointe d'accent, "Nous
allons vous interpréter ce soir des chansons swing des
années 20/30 dans leur arrangement de l'époque".
S'enchaînent alors des titres de classiques du jazz
big band, de comédies musicales, des fox-trot, des rumbas.
Des chansons écrites des deux côtés de l'Atlantique
parmi lesquelles, pour les États-Unis - "Over my
shoulder ", "Dream a little dream ", "Singing
in the rain " (pour laquelle Max Raabe précisera,
toujours en français "Vous connaissez peut-être
cette chanson dans sa version big band avec Monsieur Gene Kelly,
nous allons l'interpréter dans un arrangement pour orchestre
de bal, pas dans la version big band, plus sauvage, avec Monsieur
Gene Kelly"), pour l'Allemagne : "Hab' keine Angst
vor dem ersten Kuss ", "Du bist meine Greta Garbo ",
"Ich küsse ihre Hand Madame ", ou pour la France
: J'attendrai (unique chanson du programme qu'il présentera
en allemand afin d'annoncer qu'elle est interprétée
en français), "La mer " et "Dans la vie
faut pas s'en faire ".
Ce qui fait le succès de cette formation, outre d'excellents
musiciens, souvent multi-instrumentistes, et un répertoire
composé essentiellement d'airs classiques et populaires,
c'est avant tout l'humour décalé qui se dégage
de cet ensemble. Max Raabe, baryton à la voix de velours,
semble interpréter toutes ses chansons de manière
très dégagée, ne sourit jamais, s'avance
vers le micro pour chanter mais retourne s'accouder au piano
dès qu'il ne chante plus. Son sourcil se dresse parfois
en accent circonflexe pour souligner telle fantaisie dans l'arrangement
ou telle pointe d'esprit dans le texte. Ses présentations
de chansons, avec l'air guindé, sont aussi pleines d'humour.
Ainsi, avant d'interpréter "Qui a peur du grand
méchant loup?" (hé, oui), il l'introduira,
d'un ton très snob, par "La musique et les épreuves
de la vie sont souvent enlacées, mais lorsque cela ne
nous concerne pas directement, on s'en fout". D'ailleurs
sur cette chanson, les musiciens s'en donnaient à cœur-joie,
se dressant plein de vitalité sur leur fauteuil pour
entonner les "hahahahaha!" qui ponctuent la fin du
refrain. Sur la chanson "Am Amazonas", durant laquelle
le pianiste Ian Wekwerth fait des
mimiques de singe, tandis que son complice Vincent
Riewe tape sur ses percussions en levant très
haut les bras, tous s'amusent, seul Max Raabe gardant sa concentration
et son sérieux comme l'exige son personnage de scène.
Après l'entracte et les deux chansons de Weill et Brecht
qui ont ouvert la seconde partie, un petit zeppelin télécommandé
s'envolera des coulisses pour flotter au-dessus du public. Toute
la soirée est traversée de surprises et de moments
de bonne humeur.
Après un premier rappel nourri, l'orchestre a interprété
une de ses interprétations les plus populaires, à
savoir le "Sex Bomb " de Tom Jones en version swing.
Cette soirée était irrésistible, d'une
grande fraîcheur, d'une élégance surannée
et saupoudrée d'humour décalé. Le public
ne s'y est pas trompé, qui a réservé à
Max Raabe et au Palast Orchester un véritable triomphe. |