Fresque
tragique conçue et mise en scène par de Krzysztof
Warlikowski avec Andrzej Chyra, Magdalena Cielecka, Ewa Dalkowska,
Malgorzata Hajewska-Krzysztofik, Wojciech Kalarus, Marek Kalita,
Zygmunt Malanowicz, Adam Nawojczyk, Maja Ostaszewska, Magdalena
Poplawska, Jacek Poniedzialek, Anna Radwan-Gancarczyk, Maciej
Stuhr, Tomasz Tyndyk, la chanteuse Renate Jett et les musiciens
Pawel Bomert, Piotr Maslanka, Pawel Stankiewicz, et Fabian Wlodarek.
Krzysztof Warlikowski, 47 ans, physique
juvénile et attitude réservée presque timide
qui évoque Polanski jeune, est un des metteurs en scènes
phare de sa génération au plan international dont
chaque création est toujours très attendue.
Après un superbe "Angels in
America" présenté au Théâtre
du Rond-Point en 2008, il investit la grande salle Jean Vilar
du Théâtre National de Chaillot avec "(A)pollonoia"
qu'il a présenté cet été au Festival
d'Avignon.
Ce nouvel exercice formel, consistant en un montage de textes
de différentes qualités littéraires et
dramaturgiques, d'Euripide à Jonathan Littell, de la
profération à l'opéra-rock, fait le grand
écart entre la tragédie grecque de l'Orestie et
la situation plus qu'ambiguë, face à l'extermination
des juifs durant la Seconde guerre mondiale, d'une Pologne à
l'antisémitisme quasi atavique avec comme tête
de pont une réflexion philosophico-politique sur la notion
de sacrifice.
Un spectacle fleuve, plus de quatre heures, en polonais surtitré
pour une fresque marathon sur l'Histoire meurtrière dans
lequel se retrouvent les récurrences warlikowskiennes
: la dispersion des lieux scéniques avec la scénographie
esthétisante de l'attitrée Malgorzata Szczesniak,
avec ses étonnantes pièces d'intérieur
sixties dans des sortes d'algeco aux murs de plexiglas, permettant
une distanciation salutaire, la présence de la musique,
le doublement, ici pratiquement en continu, de l'acte théâtral
par la caméra vidéo au poing pour la confrontation
cinétique du gros plan et la pulsation étirée
qui sert de catalyseur lent au maelstrom de l'effroi.
Si la première partie est impressionnante tant par la
contextualisation des textes antiques et l'art de la composition
des scènes, la deuxième partie, contemporaine
donc avec des scènes issues d'improvisations, qui en
fait constitue le dernier tiers du spectacle, introduite par
le parallèle entre l'Holocauste et l'abattage des animaux
de boucherie figurant dans un roman de J.M. Coetzee qui se veut
un point de rupture, paraît nettement moins convaincante.
N'en demeure pas moins un spectacle d'une grande intensité
dramatique porté par une troupe de comédiens époustouflants,
dont Malgorzata Hajewska-Krysztofik, douloureuse et effrayante
Clytemnestre, Adam Nawojczyk en Apollon survitaminé,
Jacek Poniedzialek, magnifique Admète, Maciej Stuhr impressionnant
Oreste et Magadalena Cielecka, remarquable Apollonia, que Krzysztof
Warlikowski, formidable directeur d'acteurs, d'une certaine
manière, saigne à blanc pour qu'ils portent un
théâtre de vie et de larmes.
Et avec cet opus, il continue de creuser son pays, ce pays-cimetière
comme il le nomme, pour tracer le sillon d'un véritable
théâtre identitaire. |