0. Je suis ailleurs
Lorsque je quitte Théo Hakola
et que j’arrive à la bouche de métro, un flux
ininterrompu de questions et d’idées diverses irrigue
mon esprit. J’en oublie V et R, avec qui j’avais rendez-vous
il y a plus d’une heure. Normalement l’entretien avec
Théo Hakola devait durer une petite heure mais je n’ai
pas vu le temps passer. Il y a plusieurs messages sur mon portable.
Je ne les consulte même pas ; quel sens cela aurait-il maintenant
? Je suis ailleurs, quelque part avec Peter
Fellenberg, Jewell Stone et Big
Bill Haywood.
Théo Hakola a publié deux romans à ce jour.
Son premier roman La route du sang
est chaotique et sombre alors que le second, La
valse des affluents, est mature et lumineux.
Pour ceux qui connaissent Théo Hakola ou Passion
Fodder, le groupe qui a fait connaître Théo
Hakola, les personnages qu’on retrouve dans les romans de
Théo ne leur sont pas tout à fait inconnus :
"Dans mes chansons, je ne fais qu’esquisser
mes personnages. Je ne les développe pas. Je construis leur
personnalité dans mes livres."
1. Caractères
Peter Fellenberg, Peter "tout
droit descendu de sa montagne" est intiment lié à
Théo :
"Il y a des éléments autobiographiques
ou biographiques dans mes romans cependant tout ne l’est pas.
Peter Fellenberg, c’est une version minable de moi. Je ne
veux pas dire que je suis bon ou que j’ai réussi, loin
de là. Mais si je suis un minable alors Peter est encore
plus minable. Et si je suis un tant soit peu bon, alors Peter est
moins bon."
Peter Fellenberg, gamin, incapable d’assumer ses origines
"petit bourgeois" .
Peter Fellenberg, adulte, toujours indécis et perplexe devant
son époque et les gens qu’il croise.
"Je le trouve un peu mou. Surtout au début
avec Jewell."
Pas bien vaillant le Peter, oui. Il manque de courage. Mais presque
bon, honnête et surtout, surtout, clairvoyant quand il regarde
la société qui l’entoure.
Qu’en espérer ? Lui n’attend rien.
Jewell Stone est un personnage complètement
inventé, une sorte de patchwork des différentes femmes
que Théo a connu ou croisé au fil des années.
Jewell à la jeunesse gâchée par la pauvreté
et l’abandon. Qui devient une femme dont le corps incarne
en un seul être tous les fantasmes masculins.
"Parfois mes personnages s’échappent
par eux même. Je ne les contrôle plus. Ils atteignent
une certaine autonomie. Cela m’a frappé quand j’ai
traduit mes textes. Je ne me souvenais pas de certains passages,
je les redécouvrais."
Jewell qui, dès sa sortie de l’adolescence, n’a
pas froid aux yeux. Jewell qui fonce, tête baissée.
Mais pour quelle destination ?
"Le groupe dans lequel a joué Jewell
a vraiment existé. Ce groupe avec des hétéros
et des homos a tourné quelques temps. On ne savait pas qui
était avec qui. Je les ai croisés à New York
et bien sûr toute cette partie je ne l’ai pas inventée
: je l’ai vécue."
Et Peter et Jewell, les deux Spokane, USA, s’aiment. Depuis
longtemps même si l’amour n’est pas toujours partagé
simultanément.
"Je ne sais pas exactement pourquoi Jewell
aime Peter, elle si vaillante et lui incapable de prendre une décision.
Je pense qu’elle l’aime parce qu’ils passaient
tous ces moments ensemble quand ils avaient deux ans, avec la grand-mère
de Jewell. Aussi parce que Peter a toujours été gentil
avec elle et qu’il ne l’a jamais rejeté. Je ne
suis pas certain que cette raison soit suffisante pour justifier
l’amour que Jewell lui porte. Dans mon prochain roman, je
vais revenir sur ce sujet."
Ainsi, pour Théo, Peter ne mérite peut être
pas l’amour de Jewell et il pense qu’elle a commis une
erreur en tombant amoureux de son ami d’enfance.
Mais doit-on tout expliquer, en particulier l’amour que l’on
éprouve pour une personne ou dont on est l’objet ?
Doit on trouver une raison valable pour tous nos actes ? L’amour,
aussi improbable soit-il, doit il être justifiable et explicable
?
Pas sûr.
Un amour ne peut-il simplement être un état de fait
sans aucune justification valide ou acceptable par autrui surtout
quand les amants sont des personnes aussi différentes que
Peter, spectateur indécis et (presque) incorruptible de son
temps, et Jewell, actrice quasi militante d’une époque
qui manque, elle aussi, le coche ?
Peter qui ne reconnaît pas Jewell qui ne reconnaît pas
Peter lors d’un concert aux bains douches parisiens et, pourtant
qui s’aiment. Déjà. Gamins, Peter a tergiversé
et Jewell n’a pas patienté. Quand ils se retrouvent,
on pense –on espère !- que le bonheur sera au rendez-vous.
Mais non. Jewell, c’est toujours la fuite en avant et Peter,
l’indécis.
Tout cela ne ressemble qu’à des actes manqués.
2. Tout est politique
"Ce sont surtout les événements
historiques et politiques qui m’inspirent" dit
Théo. "Ce sont les moteurs de mes
réactions et de mes productions. Bien sûr, les événements
culturels ou ceux qui affectent ma vie personnelle ont aussi une
incidence sur mes chansons et mes textes. Entendre les chansons
des autres me donne des idées, sans plus".
Si Fukuyama a annoncé en 1990
la fin de l’Histoire qu’il a cru lire dans la chute
du mur de Berlin, les événements historico politiques
ne s’en pas moins succédés à une vitesse
impressionnante :
Guerre d’Irak, 1991 ;
Guerre civile yougoslave, 1991-1995 ;
Guerre du Kosovo, 1989 – 1999 ;
Attentats du WTC, 2001 ;
Invasion de l’Afghanistan, 2001 ;
Invasion de l’Irak, 2003.
Tchétchénie, 1993- ?
Pour n’en citer que quelques unes, faisant l’impasse
sur toutes les guerres civiles en gestation ou développées
localement.
"J’étais pour une intervention
armée extérieure dès le début de la
guerre civile yougoslave. A l’époque, je n’ai
pas pu suivre tous les événements précisément
mais je souhaitais qu’une force extérieure remette
de l’ordre. Dans les milieux que je fréquentais à
l’époque, ils étaient contre. Puis, en 1995,
ils ont commencé à faire circuler des pétitions.
Il est possible d’être pacifiste et de dire : Stop !
Là ça suffit."
Il fallait effectivement le dire et le comprendre plus tôt.
Toute cette période qui débute avec la Guerre d’Irak
voit l’émergence, en même temps que la Globalization,
d’une foultitude d’organisations, aux racines incertaines,
qui tentent d’imposer leur loi ou sinon au moins de prendre
une part du gâteau.
Depuis quelques temps on voit moins Théo Hakola soutenir
les différents mouvements associatifs, comme le GISTI.
"Le téléphone n’a
pas sonné cette fois. Mais je comprends et j’accepte
: il vaut mieux pour les associations d’avoir Louise Attaque
ou Les Têtes Raides que Théo Hakola. Les gens viennent
à cause d’eux. Et ils entendent le message qu’on
a à leur dire et même s’ils ne comprennent pas
forcément. Les fonds sont ainsi levés et les associations
peuvent travailler."
Théo Hakola n’est effectivement pas Big
Bill Haywood, une figure du communisme ricain et un personnage
qu’on retrouve dans "La valse"
.
3. Racines
William D. Haywood, dit Big Bill.
Un monstre. Physiquement. Quand on regarde une photo le représentant,
ce qu’on voit c’est un géant ventripotent qui
fixe le photographe d’un air méchant. Une terreur.
La terreur des patrons de l’époque. Un des chefs fondateurs
des Wooblies, les communistes US du siècle dernier. Semant
le désordre, prêchant la lutte.
Si Big Bill était né ailleurs, en Russie par exemple,
nul doute les choses auraient été différentes
pour lui. Il n’aurait pas été Lénine
ou Staline mais certainement un de leur bras droit.Pourtant le Big
Bill Haywood de Théo Hakola est différent de celui
qu’on croise dans les livres d’Histoire.
"J’ai lu la biographie de Big
Bill. Comme je le pressentais depuis longtemps, Big Bill aimait
les femmes. Sur la Côte Est, il était très apprécié
des dames de la Société. Lorsque j’ai imaginé
la scène de son arrestation, je l’ai placé au
lit avec sa maîtresse. Etrangement, j’ai appris plus
tard que c’est ce qui s’est réellement passé
: Haywood était dans le lit de sa belle sœur. Big Bill
était quelqu’un de bagarreur : il se battait tout le
temps. Avec la police, le jour de son arrestation. Avec les mineurs
quand il avait bu. Mais peut être était-il connu pour
son honnêteté et son courage ? Oui ? Alors, oui, je
suis passé à côté de cela. Néanmoins
je ne le présente pas sous un angle si négatif."
S’il était belliqueux alors Haywood n’en était
pas moins courageux et admirable. Sur ce point tous les historiens
sont unanimes. Même Dos Pasos,
qui a écrit une courte biographie de l’ogre dans "42ème
parallèle", partage ce point de vue.
Dos Pasos.
Dos Pasos, justement.
Des personnages qui traversent leur siècle de façons
différentes, creusant chacun un sillon dans le champs des
vies. Des sillons si particuliers et pourtant si caractéristiques
des gens d’une époque. D’une société.
"J’ai lu Dos Pasos il y a longtemps.
Je ne l’ai plus lu depuis, je devrais avoir vingt ans. C’est
les livres qu’on lit à cet âge qui nous marquent
le plus, je crois. Lorsque La Route du Sang est sorti, un critique
avait fait une relation avec lui. Je ne connais pas très
bien le personnage, même si j’ai plus de respect pour
le début de sa carrière que pour la fin. Pour revenir
à Big Bill : c’était un homme à femmes,
en déplaise à Dos Pasos. Je crois que tous les grands
hommes sont des hommes à femmes : leurs désirs de
conquête s’étend à leur vie privée
où là aussi ils veulent tout posséder."
4. Le communisme est-il mort ?
"Mais de quel communisme parlez-vous
? Il y a toujours des communistes et il y en a toujours eu. J’ai
connu les communistes qui avaient connu la Guerre d’Espagne
et la répression de la Chasse aux sorcières. A cette
époque, les militants du Parti ne comprenaient pas Staline
mais ils restaient par solidarité pour les autres. Ils étaient
poursuivi non parce qu’il étaient communistes mais
parce qu’ils refusaient de dire qu’ils n’étaient
pas communistes. Aujourd’hui, il y a toujours des partis d’influence
marxiste. En Europe, tous les groupes situés à gauche
des socio démocrates sont marxistes.
Non le communisme n’est pas mort. Ni
le capitalisme d’ailleurs… On recherche toujours le
profit, plus de profit, d’argent. Qui a dit que le capitalisme
était mort depuis le 11 septembre ? Des écrivains
? Ah, je croyais que vous alliez citer des intellectuels, comme
André Glucksmann."
Pitié Théo, pas Glucksmann.
Surtout pas Glucksmann.
0 bis. Absence de preuve(s)
Quand je rentre chez moi, le chat se jette dans mes jambes, trop
content de ne pas passer tout seul la soirée. Je manque de
me casser la figure. Avec la ferme intention de commencer mon travail,
je passe la bande de l’entretien sur mon lecteur.
Rien.
Pas un mot, pas un son ne sort du petit appareil sensé
transmettre son signal à la machine centrale et aux différentes
sorties acoustiques présentes dans la pièce.
Rien.
Ca n’a pas fonctionné.
Alors tout cela pour que dalle ?
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