A l'instar de l'exposition consacrée fin 2007 au sculpteur Jean Carriès, le Petit Palais, légataire du fonds d'atelier du peintre Fernand Pelez, lui consacre une rétrospective intitulée "Fernand Pelez, la parade des humbles" en exposant l'intégralité des œuvres picturales et graphiques détenues complétées de prêts de collections publiques et privées.
Si Fernand Pelez n'appartient pas au panthéon des grands génies dont l'œuvre a révolutionné l'histoire de l'art, il n'en demeure pas moins un petit maître reconnu à son époque grâce à une carrière au Salon, représentant de la peinture académique et peintre officiel vivant des commandes de l'Etat, dont la manière, tout comme aujourd'hui encore, alimentait la polémique entre ceux qui le considérait comme "peintre de la pitié" et ceux qui éructaient contre sa "peinture de concierge sensible".
L'exposition est organisée sous le commissariat du conservateur
en chef Isabelle Collet qui a opté
pour un déroulement chrono-thématique qui présente
donc l'avantage du didactisme pour évoquer un peintre
tombé dans l'oubli, qui fut un artiste majeur de la fin
du 19ème siècle, et qui s'avère cohérente
dans la mesure où son oeuvre connaît une évolution
stylistique et thématique.
La monstration est soutenue par une excellente scénographie de Nicolas Hugon qui, non seulement, traduit une esthétique remarquable de sobriété mais également tire partie des contraintes et des atouts des lieux dévolus à l'exposition et élaborer un parcours scandé par la géométrie dynamique de l'agencement des cimaises pour mettre en exergue et résonance les oeuvres et exalter l'humanité et l'émotion sensible qui s'en dégagent.
Du naturalisme à l'épure monochrome, une compassion mélancolique
Issu d'une famille de dessinateurs-illustrateurs romantiques, Fernand Pelez a été formé dans la stricte observance des règles académiques, sous l'égide de l'illustre peintre pompier Cabanel qui a rénové le style académique.
Bon
élève, il se consacre à la peinture d'histoire
avant d'embrasser de manière délibérée,
la mouvance naturaliste en optant pour la peinture de genre.
Il prend "la résolution" de raconter les pauvres de Paris en précisant qu'il ne s'agit pas de militantisme mais "d'un sentimentalisme de bon aloi et de la charité républicaine".
Ainsi, se met-il en phase avec le réalisme social ambiant et aux préoccupations politiques républicaines.
Et
la catégorie des pauvres est large et tous subissent
leur sort dans une résignation toute chrétienne,
sans l'once d'une révolte.
Elle comprend aussi bien les femmes laborieuses ("L'asphyxiée", "Au lavoir"), que les enfants ("Le marchand de violettes", "La première cigarette"), les chérubins faméliques et les anges des ruelles et des taudis que chante Aristide Bruant, que les hommes que le travail ne sort pas de la misère et qui font la queue à la soupe populaire ("Une bouchée de pain").
Le
trait est minutieux et précis, l'approche distanciée
et la sombre palette chromatique composée de bruns et
de gris permet de beaux effets de clairs-obscurs.
Les tonalités sépia des études préparatoires pour "Une bouchée de pain" annoncent le monochrome des oeuvres tardives qui sont consacrées à la thématique du monde du spectacle.
Et plus particulièrement celui de la danse - le Palais Garnier constitue un des lieux de divertissement de la haute société parisienne - dont Fernand Pelez va peindre l'envers du décor en s'immisçant dans l'intimité des loges des danseuses.
Qu'il s'agisse de la toilette des petits rats aux silhouettes diaphanes ("Les petites figurantes") ou des graciles danseuses dénudées du diptyque "Les danseuses", une lumière diffuse et tamisée jette un voile ambré sur les corps alanguis, comme saisis dans un instantané photographique, qui se révèlent d'autant plus troublants.
Fernand Pelez, "peintre montmartrois au profil de mousquetaire" qui fut un "missionnaire du pinceau" pour immortaliser "le sombre carnaval des traîne-savates", selon les termes de l'écrivain Patrick Cauvain, a changé de facture. Il aborde la figuration et a franchi le pas vers la modernité.