Bethesda signifie "la maison de Grâce" en hébreu et correspond aussi aux Bains de Jérusalem, tels qu’on les nomme, paraît-il, dans le Nouveau Testament.
Référence étonnante pour ce sixième album de Silvain Vanot, sorti huit années après le dernier en date, Il Fait Soleil (2001). Cette période de retrait a permis au chanteur de s’extraire de l’industrie musicale, qu’il estimait de plus en plus faussée, et lui a donné la possibilité de se tourner vers d’autres projets, plus discrets, mais non moins passionnants. Outre sa collaboration avec Mareva Galanter, il a rédigé un livre sur Bob Dylan et effectué la Bande Originale du film de Jean-Marc Moutout, Violence des échanges en milieu tempéré − film houellebecquien qui montre le jeu du pouvoir en entreprise et ses conséquences sur la vie privée des salariés : oeuvre implacable sur la cruauté des rapports professionnels soumis au patronat.
On peut avancer sans se tromper que les chansons de Silvain Vanot s’expriment selon la même modalité, portant un regard sans concession sur le monde : les rapports humains, tissés de mensonge, sont examinés au scalpel. On n’a d’ailleurs pas oublié Corvéable à Merci de son premier album, dont la charge de colère résonne encore aujourd’hui.
L’écriture exigeante de Vanot se retrouve aujourd’hui dans Bethesda. Ce disque a été enregistré dans un petit village du Pays de Galles, près d’une carrière d’ardoise, dont le nom est Bethesda… "Il y avait les montagnes avec la neige derrière ; en cinq minutes de voiture on se retrouvait au milieu des lacs, dans le désert total. La force tellurique de cette terre, je crois qu’on en a profité…", précise-t-il dans une interview. Si les chansons ont conservé l’intensité habituelle du chanteur, elles ont gagné en apaisement et apportent une sécheresse digne du meilleur Neil Young (influence majeure et jamais démentie de Sylvain Vanot).
Cet isolement explique aussi la grande liberté avec laquelle l’album a été produit – liberté mélodique (la voix aiguë assumée totalement), liberté de ton, de style (la musique se déploie de bout en bout selon une instrumentation artisanale), de rythme (la lenteur, surtout, apporte paradoxalement à l’ensemble un dynamisme, et une profondeur). Les textes conservent leur concision, et leur gravité ("Rivière", "Bambi / Forêt Noire", "O Mon Tour") ; leur caractère elliptique − qui correspond à un degré au-dessus du dépouillement – ("Nature Boy", "Bois Flottant") ; enfin leur humour, noir, comme sur "Implacable" dont on peut reprendre les premiers mots : "J’aimerais coucher avec toi / Pour me venger de ton père / (…) Parce que ta mère est trop vieille…". Vaste programme de la part d’un auteur qui n’a rien perdu de sa verve, ni de sa force poétique. |