Pièce
de Jean-Luc Jeener, mise en scène de Carlotta Clerici avec
Anne Coutureau, Jean-Luc Jeener, Laurence Hétier,Marine Mandrila,
Christine Melcer et Sonia Nadeau.
Une salle d’attente d’hôpital, quatre chaises,
une table, quelques magazines, une plante verte. Le silence. Une
femme assise, en larmes contenues, un homme faisant les cent pas.
Une atmosphère lourde. Un jeune homme, un comédien,
a fait une tentative de suicide. Pendant qu’il lutte contre
la mort, une actrice qui lui donne la réplique dans "On
ne badine pas avec l’amour" et le metteur en scène
attendent et s’interrogent sur la portée de ce geste
accompli par dépit amoureux.
Surgit la mère, ignorant ce mobile, qui accuse. Et qui accuse-t-elle
? Le metteur en scène et à travers lui le théâtre.
Et pas n’importe quel théâtre. Le théâtre
de l’incarnation, le théâtre vivant qui exige
tout de l’acteur par un engagement réfléchi,
volontaire et éclairé de l’homme qui ne choisit
pas une voie mais réalise son destin, celui qui lui échoit
parce qu’il a été investi d’un don et
donc d’une mission, montrer l’homme à l’homme,
qui ne peut se mesurer à l’aune des règles et
des valeurs ordinaires de la vie sociale, tels la notion d’utilité
(par comparaison aux métiers reconnus utiles comme celle
de médecin) ou de contrepartie économique (toute peine
mérite salaire mais lequel en valeur absolue ?). Ce théâtre
qui est un véritable apostolat.
Un texte simple, précis, décapant, qui expose la
logique implacable de l’engagement pris en toute conscience
que rien ne doit pouvoir rompre même pas en s’y soustrayant
par la mort. Le théâtre peut-il tuer ? Peut être,
pas sûr, mais en tout état de cause mieux vaut mourir
en faisant ce qu’on aime que mourir à petit feu en
faisant ce qu’on n’aime pas.
Car la mort, ou plus davantage encore la vie et la finalité
de cette vie qui donnée à l’homme, est également
un thème majeur. La seule certitude de l’homme est
qu’il va mourir. Alors peu importe le moment mais pas la manière.
En tout état de cause, il ne faut pas tenter de l’abréger.
En contrepoint du discours implacable d’intelligence, de
discernement et de foi du metteur en scène, la jeune actrice
faiblit un moment exposant l’ampleur de l’investissement
exigé de l’acteur, même s’il est consenti,
de porter son fardeau d’homme et d’y ajouter celui du
personnage.
La minuscule scène de la petite salle du Théâtre
du Nord-Ouest devient le monde englobant les spectateurs assis à
trois pas. La transmutation opère et les personnages deviennent
des hommes et vivent sous nos yeux au point où le corps du
spectateur se projette en avant, vers eux, animé du désir
d’aller physiquement à leur rencontre, pour leur parler,
pour les aimer.
La mise en scène de Carlotta Clerici, dans cet espace singulier
à 360 degrés par rapport au public, donne chair et
vie à la représentation et plonge le spectateur au
cœur non seulement de l'intrigue mais de la réalité
qui se déroule sous ses yeux. En cela, sans dorures ni falbalas,
c'est une parfaite réussite et une éclatante illustration
du théâtre défendu tant par Jean-Luc Jeener
au sein de la Compagnie de l'Elan que par la Compagnie du Théâtre
Vivant dont Carlotta Clerici est un des membres fondateurs.
Que dire des comédiens qui ne serait pas entendu comme
simplement laudateur ? Leur interprétation* est tout simplement
bouleversante et remarquable.
* au sens de l’incarnation, le nom ayant d’ailleurs
une connotation plus mystique que le verbe. Ainsi dit-on aisément
qu’un tel incarne un metteur en scène.
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