Cette chronique vous l'auriez déjà lue mille fois, et cela aurait donné, à chaque fois : "Les Black Box Revelations (BBR) déboulent avec une nouvelle galette de leur blues-rock un peu garage, un peu gras. La guitare, acérée, nous délivre une série de riffs tendus, sous les martèlements puissants de la batterie. Une musique orageuse, électrique et métallique" – et autres variations pauvres en style sur le même texte un peu vide, où l'on repère assez vite les mots les plus clichés de la langue des critiques musicaux.
À l'origine, ces tics étaient de simples outils permettant à l'écrivailleur, professionnel en devoir de produire, de surmonter un passager manque d'inspiration et de rendre, ni vu ni connu, un texte même lorsqu'il n'avait rien à dire. Dé-mot-tivé (c'est-à-dire, voudrons-nous croire : privé de ses mots), le chroniqueur savait recourir à des trucs, des astuces, tours de passe-passe et techniques lui permettant de s'acquitter des tâches peut-être trop nombreuses ou difficiles qui lui étaient confiées. Tirant à la ligne, de phrase toute faite en image un peu vide, il accomplissait ainsi consciencieusement, quoique pauvrement, son office. Méfiez-vous toujours, lorsque sur votre route vous croiserez cette langue du cliché. Quand le disque sous la plume se fait galette, l'indigence critique n'est pas loin.
On aurait même pu faire de cette maxime un adage infaillible si, par le mimétisme des pauvres en inspiration, l'expédient un peu honteux n'était pas devenu le tout de la critique musicale : n'y voyant que du feu, les chroniqueurs en devenir, enthousiastes mais naïfs et trop admiratifs, s'imaginent qu'écrire sur la musique doit forcément se faire dans cette langue et l'adoptent en conséquence avec tout le zèle de leur inexpérience. Si bien que cette langue, lorsqu'on n'y prend pas garde, nous revient facilement en bouche, parasitant même les textes qui nous sont les plus chers pour venir lécher, goulue tentatrice, l'œil et l'oreille du lecteur/ auditeur.
Mais si l'on peut accepter de telles facilités de la part d'apprentis-scribouilleurs, certainement blogueurs et encore pleins du lait de l'innocence, ce serait un peu court pour un homme de plume fait, qui pourrait dire aux lecteurs mélomanes bien d'autres choses en somme.
Car pour écrire sur la musique, on n'en écrit pas moins, tout court ; et le sujet, noble, mérite que l'on y mette du sien, que l'on s'y saigne aux quatre veines, se faisant un sang d'encre, au sens propre, ne vivant que dans l'espoir du point final apporté à un texte précieux. Totalité, accomplissement, élévation de l'âme, en sorte – on voit quelles hautes ambitions s'opposent au contentement un peu misérable de la galette et du déboulement.
Car il importe, surtout, que le texte rende quelque chose de l'atmosphère du disque. Faute de pouvoir en mots dire la musique telle qu'elle s'est mise en disque, il faut en style littéraire permettre, expressionniste et évocateur, au lecteur de s'approcher de la vérité des compositions.
Silver Threats, le deuxième album des Black Box Revelations, ne brille certes pas par sa finesse ou la nouveauté de son rock – on y aurait plutôt cuisiné dans la plus vieille marmite du rock les plats les plus classiques d'un livre de recettes à la couverture jaunie (ah ! l'idée que jamais ne meure le rock'n roll...) ; quelques épices en plus, à la rigueur : plus brut que son prédécesseur il est aussi, un peu paradoxalement, plus arrangé et plus psychédélique ("Here comes the kick" en est l'exemple parfait – et épique : neuf minutes).
En deux années de tournée intense et d'épuisement rock-cliché (façon road-movie, en noir, blanc, cuir & lunettes noires), la musique du duo a gagné en densité (écrasante) ce qu'elle a (vaguement) perdu en urgence. Deux années qui ont certainement compté autant humainement, voire biographiquement, que musicalement puisque les deux compères n'avaient pas vingt ans à l'époque de leur premier disque. Autant Set your head on fire pouvait briller par sa candeur et son côté très direct, autant Silver Threats s'impose d'emblée comme une œuvre de maturité : aucun gamin, fut-il enfant génial, miraculeux et prodige, n'aurait pu écrire les complexes "Where has all this mess begun" ou "Our town has changed for years now".
On sent ici, plus que les menaces argentées promises par le titre, la menace d'une jeunesse véritable : sortie de l'enfance, dépouponnée et sûre de ses forces créatrices. Prête à renverser le monde, fut-il celui du rock. Quelque chose de primitif, réellement, d'inquiétant, de primal, comme on le dirait d'un cri, d'une pulsion. Une tension de l'ordre du sexuel, de la libido, de cette pure affirmation de puissance (écoutez l'excellent "Love licks" en songeant à tout ce qu'a de dérangeant pour la société bien-pensante l'idée d'une sexualité adolescente ; songez à Larry Clark, aux Noces Blanches, au Péril jeune, au mythe de Lolita, pourquoi pas – vous touchez du doigt une certaine vérité de ce qu'est le rock'n roll, depuis son origine).
Résultat : le duo s'élève très loin au-dessus de son premier opus sans réellement en changer la donne : un blues-rock un peu garage, un peu gras. La guitare, acérée, nous délivre une série de riffs tendus, sous les martèlements puissants de la batterie. Une musique orageuse, électrique et métallique. Voilà la nouvelle galette avec laquelle déboulent les Black Box Revelations. |