Comédie
dramatique écrite et mise en scène par Yann Reuzeau,
avec Jean-Luc Debattice, Marine Martin-Ehlinger, David Nathanson,
Morgan Perez, Damien Ricour, Romain Sandère et Sophie
Vonlanthen.
Le jeune auteur dramatique Yann Reuzeau alterne, toujours dans
la contemporanéité, comédie et comédie
dramatique et c'est dans ce dernier registre que s'inscrit la
cuvée 2010 avec une pièce au titre hugolien "Puissants
et miséreux" qui, de surcroît, tant par son
sujet que par sa forme, constitue un pari pour le moins hardi.
En effet, il a choisi de traiter, comme l'indique le titre,
deux mondes, particulièrement significatifs et quasiment
antinomiques, situés aux antipodes de l'échelle
sociale, - les bas fonds et les nantis - en abordant de nombreuses
thématiques sociétales et ce, sous forme d'un
diptyque qui ressortit également de l'exercice de style
réussi.
En effet, au niveau de la construction, les deux opus sont
conçus de manière symétrique autour du
pivot que constitue l'argent, objet de toutes les luttes, lutte
pour la survie ou lutte pour le pouvoir, avec le même
nombre de personnages, trois hommes et une seule femme, à
qui est attribué le rôle moteur.
Emergent en miroir de nombreuses similitudes : dissensions
et confrontations se déroulent dans un microcosme à
la structure pyramidale toujours normée, avec le même
principe, la solidarité, solidarité de fait pour
l'un, lien du sang pour l'autre, avec pour seules différences
le vocabulaire et les enjeux.
Premier temps, décor réaliste et naturalisme
maîtrisé pour une plongée en apnée
dans un cul-de-basse-fosse à la rencontre de ceux qui
sont invisibles aux yeux de la bonne société.
Rencontre et cohabitation de deux générations
de SDF : les plus anciens, clochards flamboyants et irréductibles,
libertaires sans Dieu ni maître, qui perpétuent
leur propre code de l'honneur, de vraies gueules magistralement
campées par Jean-Luc Debattice
et David Nathanson, et les nouveaux
venus, au choix les victimes de la précarité ou
les exclus de la croissance, qui essaient encore de garder la
tête hors de l'eau. Un jeune paumé bas du front
qui use de tous les expédients possibles, interprété
par Romain Sandère qui force
un peu sur le registre du simplet à la Dany Boon, et
une jeune femme de condition très modeste à la
dérive, rôle pour lequel Sophie
Vonlanthen, distribuée en contre emploi, donne
une composition "Actors Studio" saisissante et impressionnante.
Second univers, les hautes sphères de la finance, de
l'économie et de la politique, nouveaux ordres du royaume
républicain, incestueux triumvirat que Yann Reuzeau entreprend
d'explorer par la voie d'une race marginale celle des grands
groupes familiaux.
Affaibli par la maladie, le pater familias tutélaire,
personnage à la Bullitt de Kessel sur mesure pour Jean-Luc
Debattice, qui s'est métamorphosé à vue
pendant le changement de décor, a dû lever le pied
et se rend compte que face à un fils qui n'espère
plus devenir calife à la place d'une calife qui ne veut
pas décrocher (Damien Ricour
parfait) il ne peut compter que sur lui-même refusant
d'adouber sa fille, personnage qui sous la houlette de Marine
Martin-Ehlinger n'est pas sans ressemblance avec la présidente
du MEDEF ou un fils spirituel qui reste un étranger (Morgan
Perez convaincant).
Après le morceau de bravoure du premier volet, difficile
toutefois pour le spectateur, malgré la mise en scène
très tenue de l'auteur et une interprétation de
qualité, de s'immerger dans le panier de crabes en costume
d'énarques du second volet et de rebondir, à partir
d'une partition plus convenue, sur les petites turpides politico-financières
à la Dallas qui ont pour nom conseil d'administration,
OPA, parachute doré, délit d'initié qui
font la une quotidienne des journaux. |