Comédie
de Marivaux, mise en scène de Didier Beace, avec Jean-Yves
Chatelais, Alexandre Aubry, Pierre Arditi, Christian Bouillette,
Robert Plagnol, Marie Vialle, Anouk Grinberg et Isabelle Sadoyan.
Didier Bezace monte "Les fausses confidences" de
Marivaux de manière kaléidoscopique originale
en immergeant l'argument dramatique, plus que galant, qui se
déroule entre les trois personnages centraux (un valet
joue l'entremetteur entre sa maîtresse, une belle et jeune
veuve fortunée, et son ancien maître désargenté)
dans un univers de commedia dell'arte, le tout sur fond de 18ème
siècle à la Watteau.
En effet, les personnages en costumes l'époque, délicieusement
pensés par Cidalia Da Costa, se meuvent dans un décor
subtil de Jean Haas, panneau peint, escalier magnificent symbole
de l'aisance et d'ascenseur social, grands voiles fluides pour
tourner les pages de ce qui n'est que du théâtre,
avec des intermèdes vivaldiens très corsés
qui parfois font songer au Rondo Veneziano.
Dans ce cadre précieux, les personnages périphériques
ressortissent résolument de la comédie. La mère
douairière (Isabelle Sadoyan qui force un peu dans le
registre vaudeville) avec sa perruque bouillonnante, sa robe
mauve et son petit chien qui ressemble à un portrait
d'époque sorti de son cadre mais dont le ramage, tyrannie
domestique et amour maternel intéressé, ne correspond
pas au plumage, l'oncle procureur de l'amant (Christian Bouillette
tout en suées et emportements avec œillades et gestes
ad hoc), un Arlequin grasseyant (Alexandre Aubry) et les victimes
de dommages collatéraux, une jeune servante histrionnante
et douloureusement instrumentalisée (Marie Vialle) et
un comte d'opéra bouffe beau joueur, bien campé
par Jean-Yves Chatelais.
Bien évidemment les femmes, la maîtresse comme
la suivante, ne peuvent que se pâmer, énamourées
devant le séduisant Dorante interprété
par Robert Plagnol qui, s'il a bien le physique de l'emploi
("Votre bonne mine est un Pérou" assure Dubois)
et, l'air ténébreux laissant planer le doute entre
amoureux éperdu ou Rastignac, n'a cependant pas la scansion
en phase avec la langue du 18ème siècle.
Dans le rôle de la femme qui va se consumer sous les
feux de l'amour, et surtout au reflet flatteur que lui renvoie
le miroir verbal que lui tend son ouaille, peu de surprise quant
au dénouement car Anouk Grinberg, dès les premières
répliques, avec des trémolos dans la voix et des
mines de biche aux abois, jeu dans lequel elle excelle, figure
un peu trop la victime idéale déjà prête
à la reddition redoutée face au fameux et inexorable
postulat énoncé par Marivaux : "Et on vous
aimera toute raisonnable qu'on est ; on vous épousera
toute fière qu'on est et on vous enrichira tout ruiné
que vous êtes. Fierté, raison et richesse, il faudra
que tout se rende. Quand l'amour parle, il est le maître,
et il parlera."
Quant à la figure majeure du grand manipulateur, pivot
de l'intrigue, même s'il est peu présent sur scène,
Pierre Arditi, à l'excellente et sobre interprétation,
bien loin de l'Arditi qui "fait de l'Arditi" au boulevard,
l'impose dans son omniprésence qui plane sur toutes les
scènes avec un talent qui surpasse celui de l'aréopage.
Dans son ascétique costume noir, affranchi de la dialectique
du maître et du valet, factotum de l'auteur qui a tous
pouvoirs sur ses créatures, deus ex machina qui tire
les ficelles avec une détermination inquiétante,
sortant d'une trappe comme un diable de sa boîte ou surgissant
telle une apparition de l'ombre d'un arbre du parc, il campe
de manière magistrale le stratège émérite
sans mobile apparent autre que de jouer avec le puissant levier
sur l'âme humaine qu'est l'amour et dont l'arme est la
parole : à l'illusion de la parole répond l'illusion
théâtrale. |