En
2010 est l'année Caravage avec la célébration du 400ème anniversaire
de sa mort. L'oeuvre de ce peintre lombard à la personnalité
puissante et ténébreuse qui a révolutionné l'histoire de la
peinture, retrouvé à 40 ans mourant sur une plage, et dont la
vie en fait un personnage de roman et le prototype de l'artiste
maudit, est célébrée dans toute l'Italie, à commencer par Rome,
ville qui détient de nombre de ses oeuvres in situ dans les
églises et où il acquit sa notoriété.
La Scuderie del Quirinale propose une remarquable exposition intitulée tout simplement "Caravaggio" qui présente une sélection de 24 oeuvres authentifiées majeures jamais réunies ensemble provenant de tous les grands musées du monde dont certaines, de surcroît, certaines font très rarement l'objet de prêt telle "La déposition" détenue par le Vatican.
Cette exposition à géométrie variable - aucun visiteur ne
verra les 24 toiles réunies - en raison d'un chassé croisé d'oeuvres
dont certaines doivent figurer dans d'autres expositions concomitantes,
notamment celle consacrée au Caravage et aux caravagesques organisée
par la Galerie des Offices de Florence, attire cependant les
foules à en voir la file d'attente qui s'étend de la place du
Quirinale à la Via Nazionale et ce sous le soleil brûlant de
ce début du mois de juin qui fait la fortune des vendeurs de
fausses ombrelles chinoises.
Conçue Claudio Strinati, superintendant des musées de Rome, selon un "parcours existentialo-artistique" sous le commissariat conjoint de Rossella Vodret, du Pôle muséal romain et Francesco Buranelli, directeur des musées du Vatican, l'exposition bénéficie d'une scénographie épurée mais particulièrement adaptée à la mise en évidence des toiles qui se suffisent amplement à elles-mêmes.
Dans une atmosphère de pénombre, et de quasi recueillement en raison du silence qui accompagne la déambulation des visiteurs, les tons profonds et denses des cimaises, qui scandent les différentes périodes, exacerbent les contrastes, illuminent les noirs et intensifient les couleurs.
La folie Caravage
Caravage c'est une vie dissolue, une course vers l'abîme comme
le titre de sa biographie romancée due à la plume de Dominique
Fernandez. 10 ans pour acquérir une notoriété sans pareille
tout en révolutionnant l'histoire de la peinture suivis de 10
années de dérive et de fuite pour une sombre histoire de perte
au jeu.
Né en 1571, Le Caravage est un homme du 16ème siècle qui va
bouleverser l'art du Quatrocentto en détrônant la peinture idéaliste
de Raphaël en arrivant à Rome au moment où, sous l'impulsion
des papes et des ordres religieux, principaux mécènes, la ville
retrouve sa première place au coeur du monde chrétien et où
l'art, mis au service de la foi, est incité, à des fins de prosélytisme,
à une représentation plus naturaliste et contemporaine des personnages
et des scènes bibliques.
De manière synthétique, le style de Le Caravage c'est, outre
l'invention du clair-obscur dans toute sa radicalité, le réalisme
dramatique avec la modélisation à partir des gens de la rue
et des bas-fonds, le mysticisme extatique et subversif, l'érotisme
de la chair et la représentation de la cruauté pure sans échappatoire
possible comme l 'écrit un autre peintre Eduardo Arroyo qui
voit couler dans ses toiles le "vrai sang empli de malheurs"
qui "nous contraint à devenir les complices muets et terrorisés
de ses assassinats".
Profondément humaniste, il est un redoutable portraitiste
qui saisit autant la douleur exaltée du sacrifié que la miséricorde
de l'assassin au moment où culmine la plus grande violence.
Magnifique coloriste, il manifeste un goût vénitien de la couleur et du mouvement, appris chez le peintre maniériste chez qui il fit ses premières armes, auquel il ajoute la puissance de Michel-Ange.
S'il excelle à peindre les jeunes hommes prépubères et les
adolescents interlopes aussi bien en musiciens qu'en Saint Jean-Baptiste,
les scènes bibliques, qu'il s'agisse de "Judith et Holopherne",
"Le dîner à Emmaus" ou de "La couronne d'épine", sont impressionnantes
de maîtrise technique et de puissance évocatrice.
Un spécialiste d'anthropologie osseuse ne désespère pas de
retrouver le corps de Michelangelo Merisi enseveli
dans une fosse commune. Le visage du Caravage, qui s'est autoportraituré
dans le personnage de Goliath comme médusé, décapité par un
David juvénile qui paraît plein de tendresse compassionnelle,
est pour toujours sous nos yeux. |