La pop orchestrale de l’irlandais Neil Hannon semble n’avoir pas beaucoup changé depuis cette extraordinaire année 1993 où, coup sur coup, se succédaient de grands albums qui feront l’histoire de la pop. Parmi ces albums – ai-je besoin de les citer ? – on trouve Liberation de The Divine Comedy : paradigme d’une pop savante, dont les qualités d’écriture sont incontestables. On pourrait retracer ici la progression de cette musique sur une quinzaine d’années ; enregistrer les pics d’intensité se confondant avec Liberation (par exemple Promenade et Casanova) ; parler ensuite d’une autre période moins bonne (Regeneration).
La question importante à se poser reste la suivante : qu’est-ce qui fait que The Divine Comedy nous touche moins qu’avant ? En quoi les quatre premières années du groupe de Neil Hannon déterminent un grand moment qui n’a jamais ensuite pu être dépassé − alors que le style musical reste sensiblement le même ? Lorsque j’écoute le dernier album, Bang Goes the Knighthood, quelque chose m’empêche d’être réellement satisfait, comme si cette œuvre n’était qu’une tentative de retrouver la grandeur de ces quatre années ; comme s’il s’agissait d’une musique reconstituée. Ou alors est-ce moi qui ne suis plus sensible à un programme qui s’est si parfaitement répété depuis quinze ans ?
Je pense que si Liberation paraissait aujourd’hui, j’eusse été aussi enthousiaste qu’en 1993. En réalité Bang Goes the Knighthood, par son absence de relief, et ce malgré ses incontestables qualités mélodiques (pour ne citer qu’un titre, l’audacieux "Can You Stand Upon One Leg"), révèle un problème remarquable de notre temps : la pop ne parvient plus à se renouveler ; et par ce manque une compensation est recherchée dans la répétition (au mieux), ou l’imitation (au pire). Dans le cas de The Divine Comedy, une période est reconnue comme révolue, et sa répétition est recherchée.
Kierkegaard a fait de la répétition un concept fort, expliquant qu’elle définit un "ressouvenir en avant" : nous vivons pour pouvoir revivre ce que nous vivons, parce que la nouveauté est ennuyeuse (ce qui reste discutable). Nous souhaitons écouter une musique qui nous fasse penser à celle d’un temps perdu, qui ne sera jamais retrouvé. Et par cette répétition un stade est franchi – en l’occurrence, chez Kierkegaard, il s’agirait du stade esthétique : un saut qualitatif permettant de dévier de la trajectoire, fût-ce légèrement. Mais de cette manière la perfection ne peut être atteinte ; le processus est bloqué dès le début : tous les albums de The Divine Comedy répètent Liberation qui était à lui seul l’album de la totalité pop. Aucune dialectique ne pouvait transformer ce premier agencement. |