Stéphane Denis, c’est une vingtaine de romans dont Les évènements de 67, des nouvelles dont Vous trouvez que je suis trop grande ?, des chroniques dont Un mauvais sujet, de la fiction dont Sisters, de la réalité dont Chirac s’en va et L’ennemi du bien, suite non nommée d’Un parfait salaud (?).

L’ennemi du bien ? "C’est le mieux !", me direz-vous ? Et je vous dirai tout à fait ! Il voulait être mieux qu’un parfait salaud, mieux que le pauvre type qui a tué, mieux que cet acteur-scénariste largué, mieux que ce Paul Jarvis enfermé dans une prison de Majorque. C’est à peu de choses près ce qui arrive au Paul Jarvis d’Un parfait salaud.

Le Paul Jarvis de L’ennemi du bien est évadé de prison, il croise la route d’un certain Puig, chirurgien esthétique sans scrupule, celui qui connait pas mal de repentis, un pro du ravalement intégral de façade. C’est là que l’histoire commence.

Puig, sans scrupules, était associé avec Siodmark, professeur-chercheur décédé. Jusque là, tout va bien. Puig voit arriver un nouveau candidat "je veux être un autre", et il décide de faire d’une pierre deux coups. Il utilise Paul Jarvis (le salaud évadé) comme cobaye humain et lui injecte l’ARN du regretté professeur Siodmark.

L’ARN, c’est "le messager de l’information génétique", l’essence d’un être, ce qui constitue sa personnalité, l’intérieur de l’âme, les traits de caractère, les souvenirs, tout ça à la fois, injecté dans un individu possédant déjà sa personnalité, son caractère, ses souvenirs… De quoi modifier Paul Jarvis en quelqu’un d’autre, sans passer par le bistouri. Pratique.

Oui, mais, le professeur Foldingue Puig a oublié une chose, il ne connaissait pas vraiment Siodmark, et  il n’était pas vraiment "fréquentable", voire peu recommandable. Il était Hassler, exterminateur nazi sans aucun remord. Un salaud, réincarné dans un autre salaud.

Le récit est à la première personne, nous sommes dans la peau de Jarvis, dans ses pensées, dans ses souvenirs. Nous vivons l’intrusion, la progression, la précision des souvenirs de Siodmark-Hassler. Nous suivons Jarvis dans sa quête de la vérité, à la recherche de traces d’un passé qui est devenu le sien.

C’est comme ça que j’ai vécu ce livre, voilà la trame de l’histoire telle qu’elle s’est déroulée dans mon esprit, lui-même de l’intérieur de l’esprit enfiévré de Jarvis. Voilà ce qui s’est passé, voila mon témoignage, inévitablement déformé avec mes mots, qui ne sont pas les mêmes que l’auteur, voilà ce que je dirais si on me demandait ce qui s’est passé.

Du coup, l’expérience m’a laissé un sale goût d’angoisse, un questionnement sur l’identité véritable de chacun, une paranoïa sur ce qui siège exactement au fond des gens qui croisent mon quotidien. Sentiment qui perdure après la fermeture du livre. Au point de jeter un regard par-dessus mon épaule, juste pour vérifier, juste avant de se dire "ah non, ce n’est qu’une histoire", mais des hommes comme ça ont existé, existent encore…

On ne ressort pas intact de cette plongée dans le mental d’un assassin froid et calculateur. Et pourtant, pas moyen de le lâcher avant la fin, la dernière page, le dernier mot. Pour que le cauchemar s’arrête ? Ou pour satisfaire le mauvais côté de la force tapi au fin fond de l’inconscient ?