Avec "Méfiez-vous des enfants sages" publié aux Editions Viviane Hamy, la jeune romancière Cécile Coulon plonge dans le mal être des adolescents qui ont apparemment tout pour être heureux et qui ne laissent rien paraître, car il n'y a pas que les enfants rebelles ou délinquants qui sont en danger et en souffrance.
Entraînant le lecteur dans une petite ville de l'Amérique profonde, elle raconte l'histoire de Lua avec écriture à fleur de peau, à fleur d'âme, dégraissée, réduite à l'essentiel, et un style maitrisé qui ne s'embarrasse pas de digressions supputatives pour peindre le portrait d'une adolescente à la dérive qui vit dans l'instant, sans pouvoir se projeter dans l'avenir, par incapacité à s'identifier au monde adulte qui l'entoure, par impossible résilience face au vide existentiel dont elle a conscience, quand il n'est possible ni de l'affronter ni de s'y résigner, par l'inexistante transmission de repères par des parents absents au monde qui, de surcroît, ne déchiffrent pas les signes qu'elle leur adresse.
Une presque encore enfant qui se trouve dans un non lieu psychique, que les cliniciens qualifient d'impasse de l'adolescence et qui mène à la psychose pubertaire. Des parents qui se débattent avec leurs propres problèmes : la mère, qui a renoncé à sa vie heureuse loin de cette ville, rappelée par son père lors de la mort de la mère, qui lui a fait perdre "le bonheur des choses simples" et dont la "vie prenait des airs de bonheur terminé", le père qui préfère les animaux à sa famille et qui, avec sa mygale baladeuse, "avait flingué en un rien de temps tout ce qui fait qu'une gamine est une gamine".
Une écriture et une histoire certes sous influences, celle de l'iconographie étasunienne et de ses anti-héros solitaires, exilés au fond d'eux-mêmes, du temps immobile et du conformisme résigné de l'american way of life, des inquiétantes images si lisses à la Edward Hopper, de la musique omniprésente avec, en dernière page, une bande-son de Fats Domino à The Beach Boys, à faire boire du petit lait à Nick Hornby, pour en rythmer chacune des séquences quasi-cinétiques et de la thématique de la psychose pubertaire révélée par la beat generation qui n'en finit pas de flinguer les teenagers et d'inspirer les cinéastes comme Martine Scorcese ou Gus Van Sant. Mais l'ensemble est habilement boutiqué et témoigne d'une belle maturité.
Avec à peine 20 années au compteur et ce roman maîtrisé, Cécile Coulon va très certainement se positionner en tête de gondole du rayon des jeunes auteurs dits "prometteurs" de la rentrée littéraire 2010.
Et pas seulement pour la qualité de son écriture. Car la demoiselle ne manque ni de l'humour ni de l'esprit de répartie indispensable à la nécessaire médiatisation. Ainsi à la question convenue d'un journaliste sur sa précocité littéraire a-t-elle répondu, non sans auto-dérision : "Pour ce qui est des 20 ans, c'est l'âge d'une bonne bouteille de pinard non ? Le moment où l'on en tire le meilleur ?" Tout le mal à lui souhaiter : qu'elle cultive son cépage. |