Comédie dramatique de Jean-Luc Lagarce, mise en scène de Julie Deliquet, avec Julie André, Gwendal Anglade, Eric Charon (ou Serge Biavan), Olivier Faliez (ou David Seigneur), Agnès Ramy et Annabelle Simon (ou Julie Javovella).
Le théâtre de Jean-Luc Lagarce ne cesse d’être joué depuis la disparition prématurée de l’auteur. Le Théâtre Mouffetard présente actuellement "Derniers remords avant l’oubli", pièce drôle et sombre sur le temps, et qui révèle des accents tchékoviens.
Une maison, enjeu commun d’un passé dévalué, toujours occupée par le dernier "adepte", doit être vendue par la bande d’amis qui s’y retrouva et s’y aima : la toiture coûte cher. Mais la présence inopportune des "pièces rapportées", indiscrètes et étrangères, brouille les cartes. Les caractères, inventés par Lagarce, parlent de notre temps et des gens échoués sur sa grève.
L’occupant, professeur de collège aigri et intraitable, l’idéaliste mou, sa nouvelle femme, une "nunuche" à courant alternatif, la néo-mégère hystérique et son "commercial" de nouveau mari, flanqué de leur fifille (le portable n’est pas encore inventé au temps de Lagarce, mais on l’imagine déjà "prothéisé" à l’oreille), le groupe ineffable, magmas de rescapés du divorce de leurs soixanthuitards de parents, herbeux et fumigènes, des bobos, des pré-bobos, prêts à cuire et à roussir, humains, abandonnés, le repère flou, l’avenir empilé - petite histoire sur petite histoire - charmants et blessés, puérils et courageux, font ce qu’ils peuvent, comme depuis le début de l’humanité.
Ils sont incarnés avec un talent insolent par une troupe inspirée - Julie André, Gwendal Anglade, Eric Charon et Olivier Faliez (en alternance avec Serge Biavan et David Seigneur), Agnès Ramy et Annabelle Simon (en alternace avec Julie Jacovella).
Le metteur en scène, Julie Deliquet, révèle un talent inouï pour rendre vivants ces angoissés en bulle : on croirait les avoir croisés au bar à vins des Abbesses où l’abominable cheftaine de groupe nous a empêchés de prendre des entrées…
Pire, on se prend à les aimer ces enfants de la télé qui ont appris la vie dans des sous-feuilletons où tout le monde se coupe la parole au nom de la Pâssion ("Je t’aime, Kimberley !"). Ce langage-vérité, cette querelle d’autistes au cœur gros et aux préjugés non bio-dégradables, ces cassés bouleversants qui essayent de s’en sortir avec une seule religion, l’autre, qui va peut-être, incroyable supposition, les aimer pour vingt-quatre mois, c’est toute la modernité finissante, cette traînée de désespoir, à observer au microscope, cette tueuse de Lagarce qui ne verra pas l’après tandis que nous y sommes prêts.
Et ne serait-ce pas le sens caché de ce titre de pièce incroyablement beau et bouleversant ? Un moment de pur théâtre, de vérité sur planches, d’incarnation sans tricherie, avec une qualité de présence qui fait battre le cœur. |